L’hospitalité refusée. Le Seigneur frappe à notre porte.

porte_bleue_IsraëlL’hospitalité est inscrite dans les traditions juive et chrétienne depuis le repas qu’Abraham offre aux trois visiteurs (Gn 18) jusqu’aux noces de l’Agneau où tous sont conviés en Apocalypse 19, 9. Pourtant celui qui frappe à la porte n’est pas toujours le bienvenu.  Les livres de Sagesse prêchent parfois la prudence : « N’héberge pas n’importe qui dans ta maison, car nombreux sont les pièges de l’homme rusé » (Si 11, 29). En français, le mot « hôte » est ambigu car il désigne à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli, et cette ambiguïté peut nous aider à réfléchir. Elle nous permet de poser la question : quel est celui qui véritablement accueille l’autre ? La question devient encore plus difficile lorsque l’accueil est refusé. Or Jésus a vécu l’une et l’autre situation et à son tour, il va poser la question. Essayons de le suivre là où il a été rejeté et là où il a été accueilli, pour mieux comprendre comment lui-même accueille.

Jésus, on le sait, a été très mal reçu dans son propre village : les gens étaient scandalisés de son attitude, et s’indignaient : « D’où lui vient cette autorité ? Et cette sagesse qui lui a été donnée ? »  (Mc 6, 2 ; Lc 4, 22). Inquiétude, jalousie, refus de se remettre en question…. Celui qui est « différent » est toujours dangereux, mieux vaut l’éloigner.

Mais l’accueil à son tour peut être un piège qui se retourne contre celui qui accueille. Dans la maison de Simon, Jésus a été reçu pour un repas assez solennel entre Pharisiens. Et pourtant, il va faire valoir non pas l’accueil sans grandes effusions de son hôte, mais l’attitude scandaleuse d’une prostituée qui entre librement et répand du parfum sur ses pieds : « Simon, tu n’as pas répandu d’huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds » (Lc 7, 45-46). Là où son hôte n’a pas su l’honorer, Jésus insiste sur le geste de la femme : un geste d’amour et d’humilité. Aussi se reconnaît-il accueilli, non par Simon, mais par la femme pécheresse.

Jusqu’au bout, Jésus privilégiera l’accueil que lui font les plus humbles et les plus méprisés ; un accueil sans prétention et sans condition. Les autorités du Temple ou le pouvoir romain avec lequel elles ont pactisé, s’acharneront à le rejeter et à l’éliminer. Tous, jusqu’à Pierre, l’abandonneront. Seules alors l’accueilleront ces femmes qui l’ont suivi et pleurent en le contemplant à distance, et le brigand qui demande humblement à être reçu dans son souvenir (Lc 23, 28. 43. 49).

« Voici que je me tiens à la porte »

Les premiers témoins de Jésus devront à leur tour affronter le refus de l’hospitalité dans leur mission. Les consignes du maître sont claires, lorsqu’il envoie les soixante-douze disciples : « Dans quelque ville que vous entriez et où l’on vous accueillera, mangez ce qu’on vous offrira… et dites-leur : ‘Le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous’. Mais dans quelque ville que vous entriez et où l’on ne vous accueillera pas, sortez sur les places et dites : ‘Même la poussière qui s’est collée à nos pieds, nous la secouons pour vous la rendre. Pourtant, sachez-le, le Règne de Dieu est arrivé’. » (Lc 10, 8-11). Comme Jésus, les disciples prennent la route. Mais l’accueil n’est jamais garanti, et l’annonce de la Bonne nouvelle ne s’impose pas. Chacun, chaque maison, chaque ville, est libre d’accueillir ou de refuser. La poussière secouée et rendue n’est pas condamnation, mais constatation. L’annonce demeure, l’accueil n’est jamais obligatoire mais il reste toujours possible.

Car celui qui accueille reçoit bien au-delà de ce qu’il a pu offrir. Le livre de l’Apocalypse en tirera la leçon pour les chrétiens : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe ». Mais alors ce n’est plus celui qui est dedans et ouvre la porte qui reçoit, au contraire, celui-là est reçu par le Seigneur qui frappe à la porte et l’invite à partager son repas : « Si quelqu’un entend ma voix et ouvre, j’entrerai chez lui et je dînerai avec lui et lui avec moi » (Ap 3, 20). L’étranger, lui aussi, se tient à notre porte.

Roselyne Dupont-Roc, bibliste

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