Jacob ou la blessure de l’exil

Peinture à l'encaustique représentant la lutte de Jacob et de l'Ange, oeuvre d'Eugène Delacroix. Eglise Saint-Sulpice à Paris.

Détail de la peinture à l’encaustique représentant la lutte de Jacob et de l’Ange, oeuvre d’Eugène Delacroix. Eglise Saint-Sulpice à Paris.

Le livre d’Osée (Os 12,3-6,13-14) raconte de manière brève l’histoire de Jacob, l’ancêtre d’Israël, père des douze tribus, en lien avec les récits sur Jacob dans le livre de la Genèse (25-35). Un ouvrage récent montre que les traditions sur Jacob remontent assez loin dans la mémoire d’Israël. Mais Osée témoigne d’un débat : Quelle est l’origine d’Israël ? Est-elle généalogique – à partir de l’ancêtre Jacob – ou bien politique – à partir de la sortie d’Egypte grâce à Moïse ?

Ceci étant, la vie de Jacob est pour sa plus grande part une vie d’exilé. Déjà dans le sein de sa mère, il se dispute avec son frère jumeau Esaü, à qui il volera par ruse la bénédiction de l’aîné (Gn 25,19-34 et 27,1-40). La haine d’Esaü ne cesse de grandir jusqu’à l’intention de tuer son frère. Mais la clairvoyance de leur mère Rébecca veille à faire partir Jacob, à lui faire entreprendre la route de l’exil. C’est bien là une des raisons de l’exil : quand la haine se déploie dans la violence meurtrière entre des « frères » au sens large, dans un même pays ; et ce sont souvent les mamans qui poussent leur enfant à s’enfuir.

Il y a des pierres dans la vie de Jacob

En chemin, il prend une pierre sur laquelle faire reposer sa tête et s’endormir ; au bord d’un puits, il doit soulever une grosse pierre pour obtenir à boire… Mais c’est là justement que Jacob rencontre sa future femme, Rachel, pour laquelle il lui faudra cependant servir quatorze années (Gn 29). La ruse qui caractérise Jacob lui permettra de s’enrichir aux dépens de son beau-père (Gn 30). Devenu riche en enfants et en troupeaux, Jacob voudrait revenir au pays. Est-il possible d’envisager la rencontre avec son frère Esaü, après tant d’années ? Jacob s’y prépare soigneusement, par des cadeaux envoyés en avant de lui, et en divisant ses biens pour parer à une éventuelle attaque (Gn 32). Et voilà que quelqu’un lutte avec lui toute la nuit qui précède la rencontre. Pas de vainqueur, mais Jacob obtient une bénédiction, et son nom est changé : Jacob devient Israël, « car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes, et tu l’as emporté » (Gn 32, 29). Après ce combat (avec Dieu ?), Jacob boîte, et c’est blessé qu’il va rencontrer son frère. L’exil est une blessure, et c’est avec cette blessure qu’il pourra être possible de retrouver des frères, et de se réconcilier.

Au tout début de son exil, Jacob s’était arrêté pour la nuit. La tête sur une pierre, il eut un songe (Gn 28,10-22), où il vit une échelle qui touchait le ciel. Et le Seigneur se tenait près de lui, et lui dit : « Je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras ». Malgré la dureté de sa vie (les pierres !), malgré son caractère rusé (les vols), dans les combats à mener (la lutte), tout au long du chemin,  Dieu est avec lui. L’exil est un voyage difficile, incertain et redoutable, avec cependant la promesse d’un Dieu qui accompagne. N’est-ce point ce que l’on entend souvent, dans la foi et l’espérance des exilés d’aujourd’hui ?

Père Jean-Marie Carrière, SJ

[1] Israël Finkelstein & Thomas Römer, Aux origines de la Torah, Bayard 2019.

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