Erga migrantes caritas Christi (2004)
La formation de sociétés de plus en plus pluriculturelles, pluriethniques et plurireligieuses suscite, à la fin du XXème siècle et au début du XXIème, un vif débat sur la nature même des sociétés modernes, avec des nuances selon les matrices culturelles des auteurs : le multiculturalisme dans les sociétés anglo-saxonnes, l’interculturalisme dans les sociétés latines, de même que surgissent des thématiques, sous plusieurs points de vue nouveaux, comme le transnationalisme et l’inculturation, une reprise des concepts d’“identité” et de “tolérance”, ainsi que la refondation du concept de “citoyenneté”. Dans ce contexte, le Conseil pontifical de la Pastorale des migrants et des personnes itinérantes promulgue le 3 mai 2004 l’instruction Erga migrantes caritas Christi (La charité du Christ envers les migrants), qui avait été approuvée par le pape Jean-Paul II le 1er mai.
L’instruction rappelle que l’assistance pastorale aux migrants n’est pas une “solution bienveillante” face aux conditions spécifiques des migrations, mais la réponse à un droit fondamental du migrant. Elle confirme les intuitions théologiques et pastorales issues du concile Vatican II et propose comme objectif aux Églises locales l’insertion du migrant dans la “pastorale ordinaire”. La pastorale des migrants devient ainsi une voie par laquelle exprimer l’universalité de l’Église, laquelle est appelée à promouvoir la rencontre fraternelle et à devenir “maison de tous”, école de communion, de réconciliation et de solidarité.
Pour la communauté chrétienne, née de la Pentecôte, les migrations sont partie prenante de la vie de l’Église ; elles en expriment l’universalité, en favorisent la communion et en influencent la croissance. Concrètement, elles offrent à l’Église l’occasion de vérifier ses caractéristiques essentielles : la “catholicité”, provoquée par le pluralisme ethnique et culturel ; l’“unité”, entendue non comme uniformité, mais comme communion des diversités ; l’“apostolicité missionnaire”, exprimée dans le pluralisme et la diversité des peuples, des langues et des cultures ; la “sainteté”, qui s’incarne dans les gestes de la charité chrétienne.
Tirant les conséquences pastorales de la mondialisation, l’instruction franchit un nouveau pas et propose de passer d’une « pastorale de l’identification » qui avait été appliquée aux migrations via la mise en place de communautés ethno-linguistiques et/ou rituelles, à une “pastorale de communion”. S’il n’est pas conseillé de supprimer la pastorale spécifique envers les migrants (missio ad migrantes), est en revanche affirmée l’urgence de nouvelles structures pastorales capables de promouvoir la “communion” des diversités, lesquelles constituent la réalité concrète des Églises locales. Sont ainsi proposés de nouveaux modèles pastoraux parmi lesquels on peut citer par exemple la paroisse interculturelle et interethnique ou encore la paroisse locale avec un service offert aux migrants.
Dans le contexte d’un pluralisme socioculturel, le texte réaffirme le rôle du dialogue interculturel, qui, au niveau religieux, se traduit dans le dialogue œcuménique, notamment avec les Églises orthodoxes d’Europe de l’Est, et dans le chemin difficile d’un dialogue interreligieux débutant. Pour la première fois un document pontifical consacre une attention spécifique aux « migrants d’autres Églises et communautés ecclésiales »[1] chrétiennes, avec une référence précise aux chrétiens venant de l’Europe de l’Est, aux « migrants d’autres religions en général »[2] et aux musulmans en particulier[3]. En ce qui concerne le dialogue interreligieux, l’instruction met cependant en garde contre la tentation de mettre sur le même plan chaque religion et contre une attitude syncrétiste aboutissant à une sorte de “creuset” religieux.
[1]. Erga migrantes caritas Christi, 56-58.
[2]. Erga migrantes caritas Christi, 59-64.
[3]. Erga migrantes caritas Christi, 65-68.