Comment accompagner le deuil d’un retour rapide au pays ?

Opération « Tous en fête ! » de la Croix-Rouge avec un arbre de Noël pour des familles soutenues par l'association. 30 novembre 2016 à Paris (75), France.

Opération « Tous en fête ! » de la Croix-Rouge avec un arbre de Noël pour des familles soutenues par l’association. 30 novembre 2016 à Paris (75), France.

Parmi les migrants, certains arrivent en France convaincus que leur exode ne sera que provisoire ; dans leur tête, le retour au pays ne fait pas de doute. Souvent, cet espoir leur donne le courage nécessaire pour vivre le quotidien. Au fil du temps, quelques-uns, ayant réussi leur projet, retournent dans leur pays, mais la plupart doivent faire le deuil d’un retour rapide et repenser leur projet migratoire. Certains, ne trouvant pas les conditions souhaitées en France, se projettent vers un nouveau départ; d’autres créent des attaches durables ici, y fondent une famille  et voient leur relation avec leur pays d’origine évoluer; d’autres encore ne peuvent pas se projeter à long terme et avancent à petits pas, en fonction de l’évolution de leur situation (administrative, professionnelle, familiale, contexte du pays d’origine, etc.)

Ces changements imposés, avec ses parts de deuil, d’interrogation et de dynamisme, exigent un accompagnement adapté. Celui-ci prend en compte l’origine de la personne et ses divers attachements pour l’aider à vivre « ici et maintenant ».

Vivre le plus sereinement possible « ici et maintenant »

  • L’arrivée en France s’accompagne le plus souvent d’un deuil : le deuil d’un pays rêvé auquel la réalité ne correspond pas. Aux différences de culture et de climat qui peuvent être vécues comme de véritables « chocs », peut s’ajouter la déception vis-à-vis de la situation économique, de la complexité des démarches administratives et des conditions de vie difficile.
  • Cette déception peut entraîner des réactions de colère, voire de rejet, qui empêchent la personne migrante de s’ouvrir au réel d’« ici et maintenant ». Un travail d’accompagnement humain et psychologique s’avère alors essentiel pour dépasser cette étape.
  • Faire le deuil d’un pays rêvé permet aux migrants de regarder leur pays d’accueil avec réalisme : pas seulement les difficultés ou déceptions, mais également les possibilités, les liens qui se créent. L’ouverture à l’« ici et maintenant » réel leur permet d’envisager une partie de leur vie dans ce pays tel qu’il est, sans en faire l’exutoire de leurs frustrations.
  • Le rêve du retour au pays peut être fortement paralysant. Se projetant principalement vers le retour au pays, le migrant regarde son nouveau pays comme une étape provisoire, non pas comme un lieu de vie et d’insertion. Cette approche l’empêchera de vivre pleinement ce qui peut l’être, ici en France.
  • Le retour au pays est souvent ajourné parce que l’on se refuse à y retourner sans l’argent espéré au moment du départ, soit par fierté, soit par crainte de la réaction des proches qui, parfois, ont misé financièrement sur cet exode provisoire. Des reproches peuvent alors naître vis-à-vis de soi-même et / ou vis-à-vis des proches restés au pays.
  • Au moment de la retraite et de la vieillesse, les questionnements peuvent devenir plus aigus pour les migrants: le retour au pays est-il encore possible, souhaitable, réaliste ? Hantés par la crainte de vieillir loin de chez eux, loin de leurs racines, une animosité peut alors naître vis-à-vis de la France qui se transforme en pays d’exil définitif.

Il me faut dire aussi la profonde attitude de fierté qui faisait partie de ma décision : je me suis juré  de ne pas retourner chez moi si je n’avais pas réussi brillamment mon projet de gagner de l’argent et d’arriver à vivre aisément chez moi, la honte d’un échec ne me le permettant pas.

Un migrant africain, relisant son parcours migratoire

Comment accompagner le deuil du retour rapide au pays ?

  • Aider la personne à évaluer avec réalisme sa situation: possibilités, limites, opportunités, alternatives? Etre attentif aux sentiments, parfois contradictoires, qui peuvent habiter la personne (désirs, craintes, colère, déception…). Travail qui n’est pas simple du fait des différences de culture.
  • Quel futur possible en France ?  Situation administrative, possibilité de travail, accès à un logement, vie de famille… dans quelles conditions ? Quelles sont les raisons de l’impossibilité du retour au pays (économique, politique, nouvelle famille en France, honneur, etc.) ? Permettre à la personne de prendre en compte tous les éléments en jeu et de peser les différentes alternatives en vue d’une évolution de son projet qu’elle seule peut décider.
  • Si l’absence du pays se prolonge, les liens avec le pays d’origine sont à réarticuler. Les relations à la famille et aux amis, restés au pays, sont souvent facilitées par les moyens de communication d’aujourd’hui (téléphone portable, Skype, réseaux sociaux, etc.) ; néanmoins ceux-ci ne peuvent pas remplacer la présence des personnes. Pour certains, des séjours temporaires au pays sont possibles, pour d’autres c’est difficile, voire impossible (à cause de leur situation administrative, des attentes économiques des personnes restées au pays…). D’autres gardent les liens avec leur pays à travers des chaînes de radio ou télévision spécifiques et d’Internet.
  • Si l’attachement à deux pays façonne durablement la vie de beaucoup de migrants, il faut trouver sa juste articulation, sans tomber dans le piège d’une situation qui ne serait « ni ici ni là-bas ». Cela exige de vivre autrement la référence à un pays, à une culture, notamment en permettant la sauvegarde de l’essentiel des racines (langue, certaines traditions, etc.) tout en restant ouvert à la culture et à la société française.
  • La foi compte parmi les éléments constitutifs de l’attachement aux racines, celles que l’on pratique le plus possible dans sa langue, en y conservant tous ses rites, une autre façon de protéger sa culture. Il faut comprendre que les migrants puissent avoir besoin de pratiquer leur foi au sein d’une mission ethnique qui leur procure un soutien essentiel.
  • Permettre la rencontre avec des migrants qui ont une expérience heureuse d’une vie construite en France, qui peuvent témoigner de comment ils ont pu surmonter des difficultés.
  • Etre réaliste quant au pays d’origine pour ne pas le fantasmer. Permettre la rencontre avec des primo-arrivants récents.
  • Permettre l’accomplissement d’un travail de vérité aussi bien au niveau de soi-même qu’au niveau des proches. L’image d’une migration réussie, présentée aux proches au pays sans que cela ne corresponde à la réalité, peut accroître la frustration de devoir rester en France sans espoir d’un retour proche au pays.

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