Couloirs humanitaires : « Il faut y aller pour comprendre les conditions de vie dans les camps »
Délégué à la Pastorale des Migrants du diocèse de Besançon, Nicolas Oudot s’est rendu à Beyrouth (Liban) avec deux autres partenaires du projet des Couloirs humanitaires. Avec la représentante de la Communauté de Sant’Egidio et celui de la Fédération d’Entraide Protestante, il a accompagné 6 nouvelles familles, soit 22 personnes, à Paris, le 18 mai 2018. Il a encore la tête au Liban !
Quelles ont été tes impressions sur place ?
Dans le camp, je me suis rendu compte que mes cinq sens étaient en éveil pour capter les odeurs, les bruits… Une chose est de voir les images à la télévision, une autre est de constater les conditions de vie sur place : très précaires, avec une énorme densité humaine au mètre carré. J’ai notamment fait la connaissance de deux familles qui vivaient ensemble : 14 personnes dans 9 m2.
Quel était ton programme ?
Parti lundi 14 mai, je suis revenu vendredi 18 mai avec les familles. Le lundi, j’ai fait le point avec la Communauté de Sant’Egidio sur toute l’organisation de la semaine. J’ai reçu de grosses responsabilités dans la gestion de l’accueil. Le mardi, nous nous rendus dans les camps voir les familles, notamment celles susceptibles d’arriver en France prochainement. J’ai leur ai expliqué comment cela se passait dans notre pays. J’ai été extrêmement bien accueilli. Même un peu trop ! Ce jour-là, j’ai rencontré neuf familles…et fait neuf repas dans la journée. J’ai pris 3kg dans la semaine ! L’hospitalité chez eux est très importante. J’ai pensé à cette parole d’évangile qui dit : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Matthieu 25, 35). C’est vraiment ce que j’ai vécu. Le mercredi, j’ai accompagné les familles à l’ambassade pour leur rendez-vous administratif. Je les ai préparées à l’entretien en relisant leur histoire, en leur posant des questions, pour que leur récit soit cohérent. Nous sommes arrivés à 8h et ressortis à 13h : les formalités sont très longues. Pendant que les parents étaient en entretien, je veillais sur les enfants avec des petits jeux et des coloriages. La salle d’attente minuscule donne sur une aire de jeux… réservée aux enfants des salariés du Consulat. Or ils patientent longtemps : les petits pleurent, ils ont faim. Les conditions d’accueil pourraient être améliorées ! Toutes les familles étaient très attachantes. J’avais vraiment envie qu’elles prennent l’avion pour Paris avec moi. Elles se sont rendu compte qu’il y avait des étapes avant de pouvoir le faire et que ce n’était gagné qu’une fois sa ceinture bouclée. J’y suis retourné le jeudi matin. J’ai d’ailleurs rencontré le Consul, très favorable aux Couloirs humanitaires. Le projet est reconnu et soutenu. Les après-midis des mercredi et jeudi, j’ai rencontré les familles chrétiennes Samaan et Mikho qui sont accueillies dans le diocèse de Besançon.
Quels ont été les contacts avec ces familles ?
J’avais déjà échangé avec elles via WhatsApp, donc elles savaient qui j’étais. La première famille ne vivait pas dans un camp, mais dans un immeuble à Beyrouth, dans un local technique, aménagé en loge. Le père était concierge et la mère faisait le ménage. Ils étaient exploités par les habitants – des bourgeois chrétiens. Nous avons été dérangés une dizaine de fois pendant l’entretien, car il devait ouvrir la porte de l’immeuble quand on sonnait et porter les bagages dans les étages. Cette famille a été repérée grâce à un prêtre irakien qui a alerté Sant’Egidio. Le réseau Eglise a fonctionné.
La deuxième famille habitait à la campagne, sur une exploitation agricole. En échange du travail à la ferme, ils étaient hébergés dans une petite pièce. J’avais compris que cette famille n’était pas très bavarde. Le jour de ma visite, le père était ultra stressé : il ne m’a jamais souri. Comme l’entretien a eu lieu à l’extérieur, l’agricultrice-hébergeuse est venue répondre elle-même aux questions que je posais ! Je sentais qu’elle avait une emprise énorme sur eux. Au début, elle a proposé de faire le rendez-vous dans la cuisine pour ne pas que je voie leur logement. Elle était gênée…
Ces personnes n’étaient pas très vulnérables, dans le sens où elles ne vivaient pas dans le camp dans des conditions difficiles, mais elles étaient prises en otages, en quelque sorte. Je le vois comme une forme de traite humaine qui légitime totalement leur venue en France. Tout n’est pas écrit dans les dossiers.
Comment le voyage pour Paris s’est-il déroulé ?
J’ai passé la journée de vendredi à l’aéroport. Il fallait accueillir toutes les familles. Certaines sont arrivées en retard… Ensuite, Maria Quinto, de Sant’Egidio, leur a parlé de leur intégration en France, en leur rappelant bien que rien n’était gagné, que ce n’était pas l’Eldorado en arrivant. Puis nous avons procédé à l’étiquetage des bagages. Puis c’est le passage des check points, très long. Les derniers sont les plus difficiles car la Sécurité libanaise n’est pas du tout conciliante. La maman de la famille Mikho s’est vu refuser l’accès, alors que son époux et ses enfants étaient passés. Maria m’avait prévenu que cette situation pouvait arriver. Elle m’avait conseillé de ne pas montrer de stress, de ne surtout pas entrer en conflit avec la Sécurité libanaise mais de rassurer la personne mise de côté, en lui expliquant que ce n’était que des formalités. Au bout d’une demie heure, la Sécurité a dit à la maman – en pleurs – qu’elle pouvait y aller. Vous imaginez la pression. Jusqu’à la montée dans l’avion, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer !
Pendant le vol, les parents se sont reposés mais les enfants étaient en pleine forme ! J’ai pris le temps d’aller parler à chaque famille. Je sentais qu’elles avaient besoin de regards, de soutien. Je sentais que je ne pouvais pas attendre dans mon siège. J’ai beaucoup donné dans l’avion aussi.
A la descente de l’avion, Valérie Régnier (Présidente de Sant’Egidio France) était là, avec quatre policiers de la Police aux Frontières qui nous ont accompagnés jusqu’aux bagages. C’est normal, c’est le protocole mais pour les Irakiens et les Syriens, avec ce qu’ils ont vécu, ça fait peur. La douane est encore un check point donc du stress pour les familles. Après avoir récupéré les bagages, nous avons été accueillis par les collectifs. C’est beau mais il y a tellement de monde que les familles ne savent pas qui sont leurs accueillants. Mon rôle a été de présenter les gens. Les familles étaient fatiguées – certaines faisaient le Ramadan.
Dans le mini-bus, les enfants se sont vite endormis. Les parents, eux, avaient les yeux écarquillés.
Quelles sont les étapes à venir pour ces familles dans le diocèse de Besançon ?
Deux paroisses accueillent, en lien avec le Secours catholique. La première famille va dans un village près de Besançon, dans la paroisse de Beaupré- Notre-Dame d’Aigremont. La seconde reste sur Besançon, dans la paroisse St-Férréol. Arrivés dans la nuit, je les ai revus le lendemain. Les collectifs ont pris le relais : rendez-vous à la préfecture, école pour les enfants, visite du village… C’est ce que j’ai compris en allant au Liban : l’intégration démarre tout de suite. Il faut les mettre dans le bain dès qu’ils arrivent en France. Il n’y a pas de temps à perdre.
Comment ta foi a-t-elle grandi grâce à ce déplacement ?
Je me suis dit : « Dieu m’a envoyé en mission. Ce n’est pas pour rien ». Cela m’a boosté dans ma foi et donné l’énergie pour tout mettre en œuvre pendant mon séjour. J’ai été touché par la profondeur de la foi de ces familles. Notamment celle de la famille Mikho qui avait des chapelets à l’aéroport : j’ai même prié avec la maman dans l’avion. Il y a eu des moments forts au niveau spirituel. J’ai rencontré autant de chrétiens que de musulmans. J’ai d’ailleurs pu visiter une mosquée. Je rends grâce pour toutes ces belles rencontres et cette diversité !
Un aller sans retour
« Toutes ces familles qui partent pour la France quittent les autres membres de leur famille, rappelle Nicolas. Beaucoup de monde était à l’aéroport pour leur dire au revoir. C’est vraiment un déchirement. Il faut savoir qu’elles sont désormais fichées par la Sécurité libanaise et ne pourront pas revenir. C’est un choix très fort (…) Dans le camp, j’ai aussi été rendre visite aux familles des réfugiés accueillis dans le diocèse de Besançon. J’avais pris des photos en France pour les rassurer ».