Tobie : en terre étrangère

Scène de rue dans un quartier construit par les Kurdes pour accueillir les chrétiens réfugiés d'Irak à Karakoch, village chrétien de la plaine de Ninive (février 2008).

Scène de rue dans un quartier construit par les Kurdes pour accueillir les chrétiens réfugiés d’Irak à Qaraqosh, village chrétien de la plaine de Ninive (février 2008).

Le livre de Tobie est un roman qui se lit avec plaisir, plein de détails pittoresques (le petit chien !). Il est daté du 4è siècle avant J.-C., à l’époque où les fils d’Israël vivent en grande partie en diaspora, loin de la terre de leurs ancêtres. Tobith et sa famille ont été déportés et emmenés captifs par les Assyriens dans la ville de Ninive, telle est la fiction du roman. Qu’est-ce alors que vivre en terre étrangère ?

Tobith ne manque pas de compétences, il trouve à s’employer dans l’administration royale assyrienne, voyage dans l’empire et gagne bien sa vie : il confie à un cousin dans une autre ville une somme importante. Tobith reste attaché aux coutumes de son peuple, il soutient par ses aumônes ses compatriotes, il veille à la sépulture décente de ceux d’entre eux tués par la police impériale. Les monarques changent, et aussi leur attitude vis-à-vis des juifs : Tobith tombe en disgrâce et dans la misère, parce qu’il a bravé un interdit royal en enterrant un compatriote. Et pour comble de malheur, il devient aveugle. Tobith envoie alors son fils Tobie tenter de récupérer l’argent chez son cousin. Le roman raconte surtout le voyage du jeune homme, avec un compagnon de route qui n’est autre que l’ange Raphaël. Grâce à ce dernier, qui reste incognito, le voyage sera une réussite : Tobie trouvera, dans un poisson, un remède pour les yeux de son père, et il délivrera une jeune femme, Sarah, de fait une parente, des démons qui avaient tué sept de ses prétendants. Tobie revient vers son père Tobith avec une épouse, et l’argent.

Le roman est en quelque sorte une réflexion sur ce qui est à vivre en exil, dans une terre étrangère. Tobith le père subit les revirements de l’opinion vis-à-vis de son origine étrangère ; il tient à rester fidèle et pieux en observant ses coutumes et sa religion, mais d’une manière volontariste, ce que lui reproche sa femme lorsqu’elle voit les malheurs s’accumuler ; d’ailleurs, la cécité ne signifie-t-elle pas cette intransigeance de l’époux ? C’est le voyage du fils Tobie, un peu à la manière de Jacob le patriarche, et non sans l’aide discrète mais efficace de l’ange qui l’accompagne, qui permettra d’apprendre quel avenir est possible en terre étrangère. Non seulement, au final, grâce à la guérison de la cécité, mais aussi et surtout, grâce à la délivrance de Sarah (on pense bien sûr à Abraham) qui conduira à un mariage, et ouvrira un avenir.

Si le fils Tobie a bien reçu de son père Tobith les coutumes et la sagesse des anciens de son peuple (respect des règles du mariage, accomplissement des bonnes oeuvres), c’est surtout la fidélité de Dieu qui accompagne, comme l’ange Raphaël, ces familles déportées et exilées, et qui les aident à vivre en terre étrangère. La fidélité même que Dieu avait accordée aux Patriarches, lumière sur le dessein de Dieu qui conduit leur vie. Au fond, le livre de Tobie protège les exilés en leur faisant comprendre comment se révèlent les oeuvres de Dieu.

Père Jean-Marie Carrière, SJ

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