Le migrant Abraham, père des croyants

Le chemin d'Abraham - © Bible Service

L’étranger n’est pas nécessairement un pauvre du point de vue économique. Abraham possédait des troupeaux, mais sa pauvreté est liée à la menace à laquelle il est exposé, à cause de la famine toujours possible et des relations incertaines avec les populations parmi lesquelles il habite. Sa vie dépend de la bienveillance et de l’accueil qu’il trouve sur son chemin. Les étrangers, même quand il leur arrive de s’installer dans un territoire, vivent dans une situation de précarité et sont toujours soumis au jugement de ceux qui les entourent.

Abraham, le père de tous les croyants, vit toute son existence en tant qu’étranger partout où il passe : sa foi est d’autant plus grande que la possession de la terre est plus invraisemblable. Il traverse plusieurs nations (au sens de l’époque) et doit migrer lorsque les sécheresses frappent Canaan (Gn 12,17ss, Gn 23 et 24). Il ne sera propriétaire que de son tombeau à Hébron. Mais Abraham ne veut pas que sa lignée soit apparentée aux Cananéens du pays d’accueil (Gn 24).

Les patriarches ont reçu une promesse : vivre stablement avec leur famille dans une terre “promise”. Toutefois, cette promesse ne semble pas effacer leur condition d’étrangers. L’ordre de Dieu à Abraham de quitter sa terre natale semble contredire cette promesse de stabilité dans une terre. Pourtant, cet exode devient la raison pour laquelle il sera béni par les familles de la terre. Sa condition d’étranger devient emblématique, le moyen pour établir un nouvel ordre mondial.

Cet exode est la manifestation du projet de Dieu pour le monde où Abraham reste toujours étranger, pèlerin vers la terre promise ; la terre reste à jamais un don de Dieu et non la possession humaine définitive ; la fraternité qui dépasse l’appartenance exclusive à un seul peuple représente la possibilité de dépasser ces frontières que les hommes se sont construits.

Le patriarche Abraham est l’un des points de contact entre les trois religions monothéistes – juive, chrétienne, musulmane – parce qu’il représente le modèle du croyant en Dieu unique : il est le “migrant de la foi”, modèle pour tout migrant. En effet, parmi les différents aspects qui caractérisent sa personnalité, nous trouvons la mobilité1.

L’histoire d’Abraham racontée dans la Genèse est une histoire de migrations

C’est celle des déplacements de sa famille paternelle, car le père d’Abraham, Terah, a quitté avec sa famille sa ville d’origine, Ur des Chaldéens, pour aller vers Canaan, même si son voyage s’est arrêté à Carre, entre le Tigre et l’Euphrate (Gn 11,7) ; la capacité d’Abraham même de se remettre en cause et être disponible à commencer un voyage (Gn 12, 1-6) pour se diriger vers une destination inconnue, juste en faisant confiance à un Dieu qu’il apprenait à peine à connaître ; le voyage non seulement physique, mais “spirituel” qui produit un changement intérieur, qui induit le patriarche à quitter sa façon de penser et de concevoir les fondements de son existence pour les lire d’une façon complètement nouvelle. C’est notamment le sacrifice d’Isaac (Gn 22), le “sacrifice de la descendance” qui représente le point culminant du chemin intérieur accompli par Abraham car c’est justement cette nouvelle disponibilité à se laisser conduire par un chemin d’obéissance à Yahvé qui lui a permis d’avoir une descendance innombrable.

Le fait d’être toujours en voyage est un élément constant pour les patriarches, qui ne sont pas de simples voyageurs, mais des pèlerins. Ils marchent parce que c’est leur vocation, ils sont motivés par la foi et animés par l’espoir. Leurs voyages sont plutôt des lieux de rencontre avec Dieu. En effet, leur chemin est parsemé de sanctuaires qui avaient été d’anciens lieux de culte cananéens, comme Bétel et Evron pour Abraham, le puits de Lachaï-Roï pour Isaac et Bétel pour Jacob.

L’histoire d’Abraham est ainsi un modèle de confiance et de foi pour chaque croyant en un Dieu unique qui tient toujours ses promesses, notamment pour tous ceux qui, pour des raisons différentes, se retrouvent à partager avec le patriarche l’expérience de la migration physique et/ou spirituelle, presque obligés d’assumer comme style de vie la précarité de la condition de celui qui n’a pas de “domicile fixe” et qui doit dépendre constamment des autres.

1 La mobilité est considérée, ici, comme la capacité de déplacement d’un endroit à l’autre, mais aussi comme la flexibilité et la disponibilité à revoir ses projets, même d’une façon radical.

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