Pourquoi viennent les migrants ?

Les visages que prennent aujourd’hui les migrants en France, leur nombre supposé, les difficultés d’un vivre-ensemble renforcées par les difficultés d’emploi et de logement peuvent nous interroger.

Les flux migratoires sont une constante de l’histoire de l’humanité. Tant que des individus auront l’espoir de trouver une vie meilleure ailleurs, ils seront prêts à vivre l’aventure de la migration, malgré toutes les difficultés.

Les migrations vers les pays développés sont une tendance inéluctable. Des professionnels qualifiés trouvent intérêt à quitter leurs pays d’origine. Le vieillissement prévisible de la population des pays de l’OCDE laisse présager que le recours à la migration pour le travail augmentera encore dans les années à venir.

D’autre part, les politiques de fermeture des frontières pour stopper l’immigration sont en décalage avec les réalités de notre époque. La mondialisation de l’économie, le développement des communications et des échanges touristiques, commerciaux et culturels donnent une dimension internationale aux rapports humains et une facilité dans la mobilité des personnes.
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En dehors des ressortissants européens (membres de l’Union européenne) qui peuvent aisément s’installer et travailler en France (sauf les Roumains et les Bulgares, qui ont difficilement accès au droit au travail), les étrangers hors Union européenne viennent vivre en France pour ces motifs :

Pour travailler

C’est l’immigration dite « économique ». Depuis les fortes restrictions à l’immigration économique intervenues dès 1974, le nombre de nouveaux « immigrés économiques » autorisés à s’installer en France est faible : 25 000 en 2005, 31 000 en 2010.

Pour vivre avec sa famille

En 2010, plus de 80 000 nouvelles cartes de séjour ont été délivrées dans ce cadre. Il s’agit des personnes étrangères qui viennent au titre du regroupement familial rejoindre leur conjoint étranger résidant régulièrement en France (près de 15 000 personnes en 2010) ; ou encore des « conjoints de Français », (couples mixtes) : 40 000 étrangers conjoints de Français ont reçu un titre de séjour en 2010 (pour rappel, 75 % des migrants venus au titre du regroupement familial travaillent).

Au titre de l’asile

8 500 étrangers ont obtenu le statut de réfugié en 2010.

Pour étudier

65 000 étudiants étrangers ont été autorisés à faire leurs études en France en 2010. Leur titre de séjour est provisoire (carte d’un an renouvelable) et la plupart d’entre eux devront repartir dans leur pays à la fin de leur cursus. (Source: brochure A la rencontre du frère venu d’ailleurs, 2012)

Les offres de travail en France, y compris le travail clandestin

Un rapport des Nations Unies de mars 2000 constate que presque tous les pays développés auront besoin de migrants pour éviter que leur population ne diminue. Aussi bien l’INSEE, le Conseil économique et social, que l’INED affirment qu’un solde migratoire annuel de 15 000 à 50 000 personnes est nécessaire pour éviter la diminution de la population active. Pour l’Europe, il faudrait deux fois le niveau d’immigration observé dans les années 1990 pour éviter une diminution de la population totale. Ce besoin dans les pays développés engendre le départ et la pénurie de personnel qualifié des pays en développement. En France, des employeurs clandestins attirent aussi des travailleurs clandestins dans un objectif de pure exploitation.

La misère dans les pays d’origine

Le sous-développement et la misère dans laquelle plongent de plus en plus de pays du tiers monde ainsi que le décalage qui sépare de façon croissante les pays riches et les pays pauvres ne cessent d’intensifier les flux migratoires.

L’épuisement des ressources naturelles (souvent exploitées par les multinationales), la croissance démographique, la précarité économique, le chômage… sont des problèmes qui obligent le déplacement des populations et provoquent des flux migratoires involontaires.

Mais la question migratoire ne se réduit pas à celle du développement. Si la misère reste une des causes importantes qui pousse les personnes à partir de leur pays, elle n’est pas la cause exclusive des mouvements de population. La communauté internationale prend conscience de la nécessité d’aborder les mouvements migratoires d’une manière plus globale et préventive par la promotion d’un développement durable, le maintien de la paix et la protection des droits de l’homme (voir dernier rapport du PNUD).

L’insécurité politique des pays d’origine

L’oppression politique, ethnique ou religieuse dans certains pays pousse les personnes menacées à l’exil. Des communautés, des familles et des individus quittent leur propre pays pour chercher refuge ailleurs. Devenir un réfugié, ce n’est pas vraiment un choix. C’est accepter l’arrachement au risque de vivre comme citoyen de seconde classe, souvent privé de libertés et de droits dans le pays d’accueil. En France les demandeurs d’asile sont de moins en moins nombreux à obtenir la reconnaissance du statut de réfugié et la protection liée à la Convention de Genève. Malgré cela, l’oppression et la misère sont tellement fortes dans les pays d’origine que beaucoup préfèrent rester en France en situation irrégulière et subir même la rétention que risquer leur vie dans leur pays. La Convention de Genève signée et ratifiée par la France la contraint à offrir un refuge aux demandeurs d’asile. Interdire l’accueil des demandeurs d’asile ou refuser l’octroi de cartes de réfugiés serait violer un droit fondamental de l’homme.

Toute personne a le droit d’émigrer, spécialement si elle est victime de violences politiques, ethniques ou économiques qui portent atteinte à sa dignité humaine.

Liens historiques, culturels et linguistiques entre la France et les pays d’origine

De nombreux pays d’Afrique subsaharienne et du Maghreb ont beaucoup apporté à la France dans la défense de sa liberté et dans sa reconstruction. Ce pays est redevable d’une dette historique envers tous ceux qui ont donné leur sang et leur force pour lui. D’autre part la France entretient avec ses anciennes colonies africaines une politique de coopération militaire ambiguë. Elle a soutenu des despotismes pour défendre des intérêts géopolitiques, commerciaux et économiques, au lieu d’aider à l’avènement des démocraties souhaitées par les populations.

La mobilité migratoire est une nécessité pour le maintien des liens économiques, culturels et politiques entre les pays associés à l’histoire de la France.

L’envie et le droit de vivre en famille

La fermeture des frontières en 1974 a marqué une transformation dans ce type d’immigration. Elle a favorisé le regroupement familial. Le manque de liberté d’aller et retour qui permettait à l’émigré de passer deux ou trois ans en France pour ensuite retourner deux ou trois ans au pays l’a amené à faire venir sa femme et ses enfants .

La politique restrictive à l’égard de l’immigration en France a rendu de plus en plus difficile le maintien des relations familiales. À chaque visite familiale, les autorités soupçonnent d’abord une volonté d’immigration et les visas d’entrée deviennent très difficiles à obtenir.

Or nous ne pouvons pas oublier que le droit à une vie familiale normale est inscrit dans la Constitution et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Le droit de circuler librement

Il faut aussi rappeler que même si une personne n’est pas victime d’une quelconque discrimination, elle a le droit d’émigrer. L’article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme affirme explicitement que toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Des documents de l’Église ont réaffirmé aussi ce droit fondamental. Face à la mondialisation voulue par les pays industrialisés, la circulation des capitaux se fait de plus en plus facilement. Alors pourquoi la circulation des hommes serait-elle interdite ?

Les filières migratoires qui poussent certains peuples à partir et pas d’autres

Il est à remarquer que toutes les personnes en situation d’extrême précarité tant économique que politique dans le monde ne font pas le chemin de la migration et ne vont pas toutes vers l’Europe. D’une part ce ne sont que 3% d’entre elles qui répondent à leur situation difficile par la migration, et d’autre part, elles ne viennent pas toutes vers la France. Elles ne partent pas au hasard mais s’appuient sur des filières familiales et culturelles. Ce sont les pays voisins pauvres qui accueillent, et de loin, plus que nous toute la misère du monde.

Extrait du numéro N° 8/9 de 2004 des Documents Episcopat : « Quand l’étranger frappe à nos portes » .