« Epiphanie: un enfant confié par sa Mère à notre amour » par Mgr Follo
Méditation de Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO (Paris) sur la Sainte Famille (30 décembre 2018), la Mère de Dieu et Reine de la Paix (1er janvier 2019) et l’Epiphanie, manifestation d’un Enfant confié à notre amour (6 janvier 2019).
Une famille exemplaire, parce que sainte
Avec Noël, l’avent est devenu une aventure. En se faisant chair, le Verbe de Dieu a planté sa demeure parmi nous ; et, comme Marie, Joseph, les bergers et les Rois Mages, nous avons pris la route de l’aventure chrétienne, de la mission, de communiquer tout ce qui nous est arrivé, tout ce que nous avons rencontré : le Verbe de Vie, de paix et de joie.
Communiquer ce qui nous est arrivé est entrer en communion avec les autres par notre présence, (cum = avec, munus = tâche, office, donc être unis dans une tâche commune, travailler ensemble, ou cum = avec et moenia = murs, vivre à l’intérieur des murs de la même ville, vivre ensemble). Cette communion fraternelle renouvelle le miracle de Sa Présence, renouvelle avec les autres l’évènement qu’Il a réalisé avec nous, avec les autres et avec les choses, avec tout : la paix. Dieu est la paix et est présent en ceux qui apportent la paix.
Aller à Bethléem a permis aux Bergers et aux Rois Mages non seulement de rencontrer le Fils de Dieu, mais de vivre comme en famille avec le Christ, en entrant dans cette « maison » provisoire de la Sainte Famille. Certes, au début, ils se sont arrêtés à l’entrée de cette pauvre demeure où la Sainte Famille se trouvait, puis ils se sont approchés du Christ. J’espère qu’ils L’ont touché, caressé et je suis certain que le Christ a pris demeure en eux. Ils L’ont donc apporté au monde : le petit monde des bergers et le grand monde des Rois.
Les Bergers et les Rois Mages ont quitté la Grotte non seulement parce qu’ils devaient reprendre leur vie quotidienne, banale, mais aussi pour continuer en missionnaires, le saint voyage, dans lequel Celui qui calcule les choses est un Autre. Consciemment ils s’étaient mis dans les mains tendues d’un Enfant, mains d’un Autre, « mains » de Dieu.
Pour adhérer à ce fait, à cette Présence, il faut partir en voyage. Partir de soi-même, plus que de partir de sa maison et laisser des personnes qui l’ont aimé. Il faut s’enraciner dans le Christ pour pouvoir s’étendre, comme des branches fleuries d’un arbre : plus il enfonce ses racines dans la terre, plus il s’élève dans le Ciel.
Se mettre en voyage : pourquoi? Pas seulement pour retourner à la maison ou dans les palais royaux, mais pour annoncer que la rencontre avec le Christ est un avancement : le nouveau né, l’Homme-Dieu ne détruit rien, il ne laisse aucune réalité de côté, il consacre tout, il révèle tout, il accomplit tout, il donne à tous les sentiments, à toutes les vocations une dimension infinie, incroyable, imprévisible, merveilleuse.
A cet effet, la Sainte Famille est un exemple splendide, simple et imitable : elle fut une vraie communauté missionnaire qui assume la tache missionnaire du Fils. En effet, La mission de Jésus-Christ devint la vocation de Marie et de Joseph qui mirent leur liberté à la disposition de leur Fils. Ces deux saints, unis dans le respect et dans l’amour d’une communion pure et féconde entreprirent le voyage de la vie avec le Christ et pour le Christ. Avec Lui et pour Lui, ils allèrent de Nazareth (le jardin) à Bethléem (ville du pain), de Bethléem en Egypte, de l’Egypte à Nazareth : ils portèrent le Christ sur les chemins du monde et furent les premiers collaborateurs de la Rédemption.
Cette Sainte Famille était l’Arche de l’Alliance portée dans l’exode de la vie et était « une école de l’Evangile, où l’on apprend à observer, à écouter, à méditer, à pénétrer la signification si profonde et si mystérieuse de cette manifestation du Fils de Dieu si simple, humble et belle » (Paul VI, Discours à Nazareth, 5 janvier 1964), en vue de L’apporter ultérieurement dans le monde comme missionnaires de paix.
Une famille pas normale comme norme
L’exceptionnalité de la Sainte Famille (une mère Vierge, un père adoptif et un fils qui est Dieu) ne doit pas sous-évaluer le fait qu’elle est et doit être, toujours plus, un exemple pour toutes les familles chrétiennes.
Il est évident que ce n’est pas une famille normale. Elle est justement proposée comme la norme de la vie d’un couple qui voit sa vie bouleversée par l’action de Dieu et par le délire des hommes. Elle est capable de se mettre à l’écart, réellement, sans chantages, sans soucis, pour se mettre au service de la mission d’amour et de paix de Jésus, en se donnant un plus grand projet : celui que Dieu a sur le monde.
Comme chaque mère, Marie serre fortement contre elle le petit nourrisson qui sent la chaleur et l’odeur de sa peau. Maintenant, dans la grotte, Joseph est serein, parce que s’il a été le témoin de cette naissance, survenue dans des conditions humainement humiliantes – première annonce du « dépouillement » (cf. Ph 2, 5-8) -, il fut aussi le témoin de l’adoration des bergers, arrivés sur le lieu de la naissance de Jésus après que l’ange leur eut apporté cette grande et heureuse nouvelle (cf. Lc 2, 15-16). Plus tard, il fut aussi le témoin de l’hommage rendu par les Rois Mages venus d’Orient (cf. Mt 2, 11).
Cette Aventure – faire naître le Fils de Marie, son épouse, loin de la maison – a durement affecté Joseph. Après avoir écouté l’Ange en songe qui lui dit d’accueillir Marie et le fruit de ses entrailles, après cette tumultueuse nuit de Noël, pleine d’émotion et de signes, le jeune Joseph se sent confiant pour le futur. Ce que Joseph a vu et entendu est immense et le réconforte dans sa tâche de « gardien » paternel auquel est confiée toute la vie « privée » ou « cachée » de Jésus.
Après le long et douloureux séjour en Egypte, Marie et Joseph retournent à Nazareth, où Jésus grandit. Et c’est un Jésus adolescent qui s’éloigne de ses parents, pour aller parler avec les docteurs de Loi. Quelle tendresse de voir deux parents en difficulté avec leur enfant qui, dans la logique humaine, dirions-nous, est en pleine crise d’adolescence, parce qu’Il conteste l’autorité de ses parents. En réalité le « garçon » Jésus affirmait l’autorité du Père et son appartenance à la Famille Divine.
Admirons la grande foi que Joseph et Marie ont eu pour reconnaître comme Fils de Dieu, l’Enfant qui grandissait dans la maison et qui était identique à tous les enfants du village.
La fête de la Sainte Famille nous pousse à voir les êtres chers de notre famille avec un regard de foi et de lumière, en reconnaissant le Mystère caché dans les personnes qui vivent quotidiennement avec nous. Elles nous apprennent Dieu et nous font comprendre que l’héroïque peut devenir quotidien et que le quotidien peut devenir héroïque.
Que cette prière soit notre fréquente prière d’aujourd’hui : « Dieu, notre Créateur et Père, Tu as voulu que Ton Fils, engendré avant l’aurore du monde, devienne membre de l’humaine famille ; ravive en nous la vénération pour le don et le mystère de la vie, afin que les parents se sentent participants de la fécondité de Ton amour, et que les enfants croissent en sagesse, âge et grâce, en louant Ton saint Nom » (Collecte du dimanche 30 décembre 2012). Portons l’heureuse annonce : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules et on lui a donné ce nom : Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père-éternel, Prince-de-la-paix » (Is 9,5).
Dieu est en ceux qui apportent la paix : Il est la Paix
La paix, souvent offensée et attaquée, est un désir commun, parce que la paix est vie. Pour cette raison, je pense que le Pape Paul VI a voulu que la paix soit célébrée en tant que Journée Mondiale. La première fois où cette fête fut célébrée fut le 1er janvier 1967, jour de la Liturgie dédié à la célébration de la Vierge Marie, comme Mère de Dieu et mère des hommes.
Dans le sens biblique, la paix est par excellence le cadeau du Messie. Elle est le salut apporté par Jésus. Elle est notre réconciliation et pacification avec Dieu. La paix est aussi une valeur humaine à réaliser sur le plan social et politique. Elle enfonce ses racines dans le mystère du Christ (cf Gaudium et Spes, chap. V) qui est l’« auteur du salut et le principe d’unité et de paix » (Lumen Gentium, n. 9). Il est donc évident que le chrétien doit contribuer aux efforts de l’humanité pour apporter la paix dans le monde.
La première façon d’être porteurs de paix est le sacrifice dont le fruit sur la terre est la paix. Donc essayons de faire des sacrifices et d’éduquer aux sacrifices. Je suis certain que les personnes de mon âge se souviennent de la manière dont nos mères ou le prêtre de notre paroisse nous apprenaient à faire chaque jour de l’Avent un petit sacrifice (un « fioretto » : le sacrifice était comparé à une fleur, et le petit sacrifice à une petite fleur, donc « fioretto ») afin que l’enfant Jésus puisse être installé plus confortablement dans la crèche et que la paille rigide ne le fasse pas trop souffrir. Nos mères et le prêtre, d’une façon peut-être un peu naïve, mais efficace, nous apprenaient que le vrai sens de la naissance de Dieu dans le monde était la pacification sur la terre par le sacrifice. L’histoire de l’Enfant de Bethléem est une histoire de sacrifice jusqu’au sacrifice de la Croix : sceau de paix.
La paix réalisée par le sacrifice est la manifestation (= épiphanie) évidente de ce projet de Dieu qui est la parfaite communication de ce qu’il est : Amour qui se donne.
Epiphanie de paix
L’Epiphanie célèbre trois manifestations divines : la manifestation aux Rois Mages, celle sur les rivages du Jourdain par le Baptême de Jésus et celle des noces de Cana.
Aujourd’hui la manifestation du Sauveur aux « païens », en la personne des Rois Mages est la plus soulignée. Ces personnes sages représentent notre vocation à la lumière du Ciel qu’ils fixaient jusqu’à faire pleurer les yeux du coeur.
D’une foi généreuse, ils disent : « Nous avons vu Son Etoile et nous sommes venus… ». En laissant leurs palais royaux et leurs certitudes, ces hommes sages ont suivi la « certitude » de l’étoile du Christ. Ils sont arrivés chez l’Enfant qui portait l’éternel Amour dans le monde pour toujours. Ils ne sont pas seulement arrivés chez le Christ, mais dans le Christ.
Lorsque les Rois Mages, ces pèlerins du Ciel arrivèrent à la Grotte, ils virent un nouveau-né dans une crèche et prirent conscience que leur recherche était achevée. Leur mission commençait. Mais qu’ont-ils vu pour en être bouleversés d’étonnement ? Ils virent un enfant dans les bras de Sa mère qui a mis Dieu à notre portée grâce à son « oui » : « le voile » de l’humanité empêche à la luminosité infinie et éblouissante de nous rendre aveugles. Cette manifestation de Dieu est un mystère de miséricorde que personne ne pouvait humainement concevoir. Après l’avoir vu, adoré, et offert des dons, ces Rois quittèrent la Grotte. Ce ne fut pas un simple retour chez eux. La lumière qu’ils avaient contemplée était dans leur coeur : ils l’apportèrent dans le monde.
Aujourd’hui, la lumière de Bethléem continue de resplendir à travers les chrétiens dans le monde entier. St Augustin rappelle à ceux qui l’ont accueillie: « Nous aussi, en reconnaissant le Christ comme notre roi et comme prêtre mort pour nous, nous l’avons honoré comme si nous Lui avions offert de l’or, de l’encens et de la myrrhe ; il ne nous manque que d’en témoigner, en prenant une route différente de celle que nous avons empruntée pour venir » (Sermo, 202. In Epiphania Domini, 3, 4).
Cette route est un chemin de justice et de paix, car il manifeste la lumière d’un Dieu qui nous montre son visage et qui apparaît dans la crèche de Bethléem. Lui Seul peut rendre le coeur humain ouvert à la paix et facteur de paix.
Bien sur, ceci vaut d’une façon particulière pour les vierges consacrées. L’Epiphanie, célébration de la manifestation du Seigneur, rappelle à chacune d’elles comment vivre leur vocation en réalisant l’engagement qu’elles ont assumé par la force de leur consécration.
Cette consécration ne les met pas immédiatement au service de quelques activités particulières, mais elle exige de leur part, un témoignage de vie parfaite. Elle exige d’elles un témoignage qui, selon les mêmes paroles de la formule de leur consécration, les rend révélatrices de Dieu le Père, qui « les appelle à rester à Sa présence come des anges devant Son visage » (Rituel de la Consécration des Vierge, n. 64), comme les Rois Mages devant Jésus que la Vierge Marie confie à leur amour. Que Dieu, voilé aux yeux des hommes, se dévoile, se manifeste par la sainteté de vie de Ses servantes consacrées.
Prière de Saint Bède le Vénérable " Aimons le Christ et observons avec persévérance ses commandements que nous avons commencés à suivre. Plus nous l'aimerons, plus nous mériterons d'être aimé du Père. Il nous accordera la grâce de son Amour immense pour l'éternité. Maintenant, Il nous accorde de croire et d'espérer. Alors, nous le verrons face à face et Il se manifestera à nous dans la gloire qu'Il avait déjà auprès du Père avant que le monde fut ". (Homélie 12)