Poème pour la Journée Internationale de la Femme

Ce poème, hommage aux femmes victimes de l’excision, a été écrit par Marie-Rose Abomo Maurin qui collabore avec la Pastorale des Migrants du diocèse d’Orléans. 

Elles vivent parmi nous, mais qui peut s’en douter ?

Elles rient avec nous, mais qui peut le soupçonner ?

Elles sont drôles, mignonnes, belles à l’infini mes déesses

Dont tout rire dit le mal subi et revendiqué par autrui.

Elles sont élégantes à souhait, mais le vêtement,

La coiffure, les bijoux ne cachent pas la profonde blessure

Cette béance intérieure qui ronge et égratigne l’envie de bonheur.

 

Quand tu les rencontres, elles te sourient mais le sang coule.

Quand tu leur parles, le sang coule et dégouline de la plaie.

Lorsque tu les vois rire, elles cachent une interrogation triste.

Lorsqu’elles dansent, elles expulsent de leur corps le couteau

Le vilain couteau d’une vengeance et d’une culture ineptes

Sans explication autre que la sacrée tradition, « C’est ainsi » !

 

Que valent dès lors les décrets des ministères et les menaces

Jamais abouties parce que la sacrée tradition « a dit et dicté » ?

Comment comprendre la fête et la journée de la femme

Quand elle danse mutilée, alors qu’elle n’est plus entière

Parce qu’il lui manque non pas un bout d’elle-même, non !

Mais l’entièreté de son corps privée de toute sensation ?

 

Awa continue à s’interroger sur cette privation de l’essentiel-femme.

Elle se compare à une coquille vide, ne sachant rien de ce plaisir

Qu’on vante tant, dans de nombreuses régions du monde.

Quel sens prend dans son existence questionnante et triste

Ce 8 mars, J.I.F. pour lequel on se fait faire de beaux uniformes ?

Elle a beau s’habiller et entourer son corps de belles étoffes,

Celles-ci n’ont jamais colmaté cette grande brèche, hélas,

Entaillée dans sa chair d’enfant qui n’a rien demandé à personne.

 

Elles sont belles et dignes, mais leurs mots restent cruels.

Ils interpellent et glacent d’effroi quand on les écoute.

Néné revoit le film de son amputation. Elle hurle de douleur.

La blessure ne risque pas de cicatriser. Le couteau saigne encore.

Elle revoit le plaisir de la grand-mère au vieux couteau

Et maudit sa satisfaction devant le devoir accompli dans le sang.

Ce sang qui coule, dégouline et que la cicatrisation ne peut arrêter !

Que dit la Journée internationale de la femme quand, toujours,

Le sang dégouline et coule dans des têtes et des corps saccagés ?

 

Mimah joue le jeu social : essayer de faire comme toutes les femmes.

Elle essaie, mais elle n’est pas comme toutes les femmes.

Elle ne sera jamais comme toutes ces femmes de la J.I.F. hélas !

Une rivière de sang les sépare malgré des décrets administratifs.

Le boa de la tradition les différencie et le vieux couteau a tranché.

Je hurle ma peur et ma honte. Ma sœur se joint à moi.

Nous grelottons pendant que la série se déroule devant nous

Et la libération de la parole épouse une fluidité jamais encaissée.

 

Elles vivent parmi nous, mais qui peut s’en douter ?

Elles rient avec nous, mais qui peut le soupçonner ?

Elles sont drôles, mignonnes, belles à l’infini, mes déesses

Dont tout rire dit le mal subi et revendiqué par autrui.

Ce mal que ma Justine épouse encore malgré le temps

Ce temps qui les a trahies, car il est tombé entre certaines mains

Pour laisser faire le vieux qu’on ne change pas sinon recommencer

Recommander les opérations culturelles sans pitié.

 

La voix chevrotante de Mariama s’indigne, revient sur ce temps

Qui a cessé d’être un instant pour devenir une éternité de sang

Une longue durée comme ces maladies pour lesquelles

On prescrit des médicaments pour soulager et non guérir.

Elle cherche pourtant la guérison, mais elle ne viendra jamais.

Alors, elle parle pour apaiser sa douleur si on l’écoute vraiment,

Si son message se répand, se diffuse, se transmet et convainc.

 

À qui profite le crime ? L’enquêteur cherche à qui profite le crime.

Atiti a cessé de chercher à qui profite cette partie d’elle-même

Dont la culture l’a délestée, sans préavis ni aucun avertissement.

2023 et les choses tardent à bouger. Et la culture continue à dicter

Prescrire l’équarrissage, à ordonner le malheur des femmes vidées,

Oui, vidées d’elles-mêmes, de ce qui fait d’elles des femmes.

 

Lorsque tu les vois rire, elles cachent une interrogation triste.

Lorsqu’elles dansent, elles expulsent de leur corps le couteau

Le vilain couteau d’une vengeance et d’une culture ineptes.

Si elles ont décidé de parler, c’est pour secouer le monde

Qui semble encore indécis pour les mesures à prendre,

Pour comprendre ce que subissent mes femmes.

Si, pour elles il est trop tard, elles continuent à parler pour leurs enfants.

Elles demandent au monde de faire des petites filles des femmes.

Que la Journée internationale de la femme soit vraiment la leur.

Marie-Rose Abomo Maurin (15 janvier 2023)

En France, la loi du 4 avril 2006 interdit cette mutilation génitale. Or en 2019, on estimait à près de 60.000 le nombre de femmes excisées dans l'Hexagone, principalement originaires du Mali, du Sénégal, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée. 

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