« Le droit de ne pas avoir à migrer » par Christian Mellon, SJ
On sait que, pour l’Eglise catholique, le droit de migrer est lié au respect de la dignité humaine. Ce qu’on sait moins, c’est qu’elle affirme aussi que le premier droit de tout être humain, c’est de ne pas être obligé de quitter son pays.
Alors que Pie XII ne voyait que des avantages aux migrations mondiales, censées répartir les humains de manière plus harmonieuse sur la surface de la terre, ses successeurs notent qu’augmente le nombre des réfugiés politiques (ce que déplore Jean XXIII « avec tristesse » : Pacem in terris, 103) et que les travailleurs migrants vivent dans des conditions souvent inhumaines. Si ces personnes quittent leur pays, ce n’est pas de gaîté de cœur. Le Concile invite à remédier aux « conditions de vie instables et précaires» dans lesquelles elles vivent (Gaudium et spes, 66,2), mais aussi à remonter aux causes de leur exil, afin d’y porter remède.
En 1981, Jean Paul II présente les migrations comme un « mal nécessaire» (Laborem exercens, 23). C’est un « mal », car « vivre dans sa propre patrie est un droit primaire de l’homme », mais un mal « nécessaire » tant que persistent les facteurs qui poussent des personnes à s’exiler : « les conflits internes, les guerres, le système de gouvernement, la distribution inique des ressources économiques, la politique agricole incohérente, l’industrialisation irrationnelle, la corruption envahissante » (Discours au Congrès mondial sur la pastorale des migrants et réfugiés, 9 octobre 1998). Dans ses messages, dans divers documents publiés par les épiscopats, les chrétiens sont invités à lutter contre ces causes de migrations non volontaires : mal développement, injustices dans les rapports Nord-Sud, mauvaise gouvernance, corruption, atteintes aux droits de l’homme, guerres, purifications ethniques et, plus récemment, dérèglements climatiques.
Dans son discours du 21 février 2017 aux participants au forum international « migrations et paix », le pape François exprime sa « préoccupation particulière pour la nature forcée de nombreux flux migratoires contemporains, qui augmente les défis à la communauté politique, à la société civile et à l’Eglise et qui exige que l’on réponde de façon encore plus urgente à ces défis de manière coordonnée et efficace ». Cette réponse, ce n’est pas dans les textes sur la migration que l’Eglise la présente, mais dans son enseignement sur le développement et les rapports Nord-Sud (voir Populorum progressio), sur les conditions d’une vraie paix et le respect des droits de l’homme (voir Pacem in terris), sur une mondialisation qui respecterait l’option préférentielle pour les pauvres (voir Centesimus annus et Caritas in veritate) et sur l’urgence d’une « conversion écologique » (voir Laudato Si’). Bien des mouvements chrétiens (ou d’inspiration chrétienne) oeuvrent dans ce sens.
Le pape François, dans ce même discours de février 2017 afffirme que, pour lutter, en amont des migrations forcées, contre les causes qui les provoquent, il faut respecter un « devoir de justice » : « Nous sommes tous appelés à entreprendre des processus de partage respectueux, responsable et inspiré par les préceptes de la justice distributive… Un petit groupe d’individus ne peut contrôler les ressources de la moitié du monde. Des personnes et des peuples entiers ne peuvent n’avoir le droit que de ramasser les miettes. »
Justice et Paix s’embrassent dit le psaume. On pourrait aujourd’hui compléter cette formule et dire : Justice, paix, et bonheur de vivre chez soi une vie heureuse s’embrassent !
P. Christian Mellon, SJ, jésuite, responsable du pôle formation du Centre de recherche et d’action sociales (Ceras).
Cet article est extrait du Courrier de la pastorale des migrants (n°133 - Février 2018)