La bonne volonté suffit-elle?

Alain PINOGES/CIRICRéflexion de Jean Haffner, rédacteur de notes mensuelles sur la migration.

La vue d’une personne à la rue met chacun mal à l’aise avec la phrase qui résonne : « J’étais étranger et tu m’as accueilli » qu’on traduira « J’étais sans abri et… » Une question pourtant : ai-je le droit, s’il est aussi sans-papiers ? Viennent alors à l’esprit des exemples d’accueils réussis et d’échecs, le souvenir des manifestations contre le délit « de solidarité »… Qu’en est-il ? Quelles précautions ou réflexions ? Quel recul ? Dans nos repères, s’impose aussi le « samaritain » dont la parabole est souvent mémorisée en diagonale : cet étranger qui est attentif au blessé, le monte sur son cheval et le confie à l’hôtelier ; il illustre l’image du prochain qui sait voir l’autre et prendre le temps du contact, ensuite le cheval et l’hôtelier seront sollicités pour faire leur travail. A son retour, le samaritain s’informe et complétera son action.Image

A l’image de cette parabole, l’important c’est d’abord le regard, le contact, le dialogue : quelle est la situation, quel projet ? Comment être réellement utile et se servir de l’existant et du professionnel ? Quel recul sera possible et quel soutien ?

Dans la problématique de la mise à l’abri, il faut distinguer des réalités différentes : un hébergement ponctuel d’urgence, et celui de plus longue durée. Par ailleurs, « héberger » diffère de « loger » (procurer un chez soi avec un bail) selon l’encadrement et l’autonomie.
La loi française prévoit que toute personne à la rue, même sans-papiers, a le droit d’être abritée. Avec la loi DALO (Droit au Logement Opposable, applicable début 2008), un hébergé a droit à un parcours vers le logement, mais le logement social public n’est pas accessible aux sans-papiers et les recours pour faire appliquer le droit au logement exigent des conditions de durée de carte et/ou de résidence régulière. L’hébergement vient d’être reconnu comme un droit fondamental par le Conseil d’État, ce qui permet de contester en urgence un refus d’hébergement. Sans être naïf sur l’écart entre la réalité et le droit : témoins les taux de refus du n° d’urgence, le 115, mis en lumière par les baromètres récents de la Fnars, avec des laissés pour compte plus souvent étrangers. Ces outils règlementaires sont autant d’étapes pour un droit inconditionnel d’accueil : un cadre existe qu’il importe de faire appliquer.

Se poser la question d’héberger suppose donc déjà de saisir pourquoi le cadre légal n’a pas fonctionné ou n’a pas été sollicité : beaucoup en effet ignorent leurs droits ou ne les réclament pas. Tenter de comprendre n’est pas de l’inquisition mais une étape dans une aide réelle ; le contraire risque d’induire un mauvais diagnostic et de passer à côté des droits, voire de les faire perdre.
Devant l’urgence, chercher une solution pour éviter la rue est de l’assistance à personne en danger. Une mise à l’abri ponctuelle n’est pas un engagement très fort, en étant pourtant conscient que l’hébergé accueilli devient un peu plus « prochain », qu’il est entré dans notre vie et vice-versa. Cet acte doit constituer une étape vers des démarches.Un hébergement d’une ou plusieurs semaines exigera plus de conditions : d’abord d’en définir les limites, un écrit étant une garantie pour chacun, quitte à ce que la durée corresponde à des démarches ou à des réponses et qu’elle soit reconduite au besoin après accord réciproque ; respecter chacun et préserver la vie privée n’empêchent pas le suivi rigoureux d’un plan décidé ensemble. Les accueils les plus souvent réussis sont ceux qui sont réalisés par une équipe motivée par des valeurs communes : les regards et les idées sont pluriels et complémentaires et il est possible de démultiplier les accompagnements dans les démarches.L’hébergement d’une famille avec enfant ajoute un élément spécifique : la présence de mineurs met en jeu la mission des travailleurs sociaux qui ne peuvent se désintéresser des risques de mauvais traitement : vivre sans-abri en est un. Envisager l’hébergement d’une telle famille nécessite donc le lien avec le service social qui ne peut se retrancher derrière un motif d’irrégularité du séjour. De même l’aide sociale à l’enfance (Conseil général) ne peut refuser son soutien sur ce même motif. Un enfant n’est jamais « sans-papiers » puisqu’il n’en a pas besoin.La question souvent évoquée porte sur les sans-papiers sous obligation de partir, notamment déboutés de l’asile ; il faut distinguer entre « abriter » et « cacher » : le premier est un devoir, le second un délit. Le fait d’abriter et d’aider un sans-papiers dans ses démarches pour se mettre « en règle » est une action de solidarité, mais il faut être bien conscient qu’elle risque de durer, que ce ne peut être un simple geste ponctuel de générosité, et que l’issue n’est pas gagnée d’avance. Un travail en équipe s’impose alors pour un recul et un véritable accompagnement. Il serait contreproductif de faire des promesses inconsidérées, mais tenir un même langage de vérité à plusieurs aidera l’hébergé à se situer et à prendre des décisions réfléchies. A la durée de l’engagement se joint l’aspect financier qui s’avère de plus en plus pesant au fil du temps : coût direct et indirect du local et de la survie. Sans oublier que, l’oisiveté influant sur le moral, il faut aider à ne pas y sombrer et à savoir se faire apprécier : à terme, l’intégration peut être déterminante.

La simple générosité ne suffit pas. Vouloir agir seul sans se ménager un recul et le soutien de spécialistes serait aller au devant d’un échec préjudiciable pour tous. La charité n’interdit pas d’être intelligent.