« Protection, délivrance et guérison » présenté par Monique Brulin

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La théologienne présente  » Protection, délivrance, guérison : Célébrations et prières  » (Mame-Desclée, 2017), fruit d’un travail conjoint du Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS) et du Bureau National des Exorcistes (BNE), à la demande des évêques de France. Propos recueillis par Claire Rocher (SNPMPI).

Quelle a été la genèse de ce livre ?

Nous travaillons ces questions avec le Bureau National des Exorcistes (BNE), rattaché à la Commission épiscopale pour la liturgie et la pastorale sacramentelle, et donc au Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle (SNPLS). Des Services existent dans les grandes villes, qui accueillent de nombreuses personnes en souffrance mais qui ne relèvent pas, pour la plupart, du « grand exorcisme ». Cet accompagnement peut conduire en certains cas à la célébration des sacrements tels que la réconciliation ou encore l’onction des malades. Mais le soutien par la prière pour demander délivrance ou guérison ne trouve pas toujours des formulations appropriées.

Il manquait donc un outil adapté à diverses souffrances davantage présentes aujourd’hui, liées à différents facteurs comme la précarité, la confrontation à des échecs personnels (familiaux, sociaux, professionnels). Certaines personnes en difficulté vont projeter des éléments de leur culture qui sont traditionnellement adaptés chez eux pour traiter le malheur social. Cela peut passer par des représentations pour nous déconcertantes : on leur a jeté un sort ; elles sont sous l’emprise d’un maléfice, ou encore, sous l’influence d’esprits, bons ou mauvais. Le brassage des cultures et les migrations expliquent que, sur nos territoires, des personnes s’appuient sur ce type de représentations.

Comment répondre à cette diversité de situations ? Aux services d’Eglise cités précédemment, ajoutons les aumôneries de la santé, des prisons, la pastorale des migrants, les lieux de pèlerinage, des lieux d’Eglise où l’on peut déposer sa souffrance. Mais cela peut arriver aussi dans les paroisses. Or elles ne sont pas toujours équipées pour répondre à ce type de demande. On a formé des équipes d’écoutants dans différents domaines mais, pour celui-ci, il fallait trouver une réponse d’Eglise polyvalente qui n’exclue pas les réseaux existants qui ont intérêt à travailler davantage ensemble sur ces questions aujourd’hui. D’où une présentation de l’ouvrage aux représentants de ces services, à diffuser dans les diocèses pour permettre d’avancer dans une pastorale d’accompagnement.

Quelle a été la méthode de travail ?

Le groupe de travail mandaté par la Commission épiscopale pour la liturgie a recueilli, auprès des exorcistes, un certain nombre de textes utilisés. Une fois triés, beaucoup sont apparus peu appropriés. En effet, souvent un peu démunis, les accompagnants vont chercher des prières dans les traditions plus anciennes, en remontant parfois jusqu’au Moyen Age ! Ou encore, ils prennent appui sur certains courants évangéliques, voire, charismatiques qui mettent l’accent sur l’influence du démon en toute situation, empruntant aux Pères du Désert des représentations qui s’inscrivent dans un contexte différent du nôtre. On peut en effet être tourmenté par des forces que l’on a du mal à interpréter, et qui, cependant, n’ôtent pas toute liberté au sujet de la foi. En ce domaine, un fin discernement doit s’appliquer, l’axe majeur étant celui qui oriente vers le Christ dans la foi.

Les prières proposées doivent rester cohérentes avec ce que l’Eglise prévoit aujourd’hui dans sa liturgie. Notamment, l’effort a été fait de remettre toute prière en rapport avec la Parole de Dieu ; or ces prières n’y font pas allusion et la lecture de la Parole n’est pas prévue. Il manque la dynamique de l’Esprit Saint et l’expression de la fécondité du mystère pascal. Ce sont des choses très fondamentales remises en perspective par le concile Vatican II. Sans cela, on risque d’instrumentaliser ces prières.

Quelles sont donc les principales sources du livre ?

Ce livre comporte des préliminaires et trois grandes parties qui tentent de répondre à des demandes qui ne sont pas tout à fait du même ordre. La première partie concerne les prières pour demander une protection, la deuxième, pour demander une délivrance et la troisième, une guérison. On ne peut pas toujours clairement distinguer ce qui relève de la délivrance (sort, addiction) ou de la guérison (santé). C’est assez lié. On bénéficie dans ces domaines des évolutions de la science qui permettent de mieux comprendre la psyché humaine, la relation de l’homme à ses difficultés, aux stratégies mises en place. Quelles réponses apportons-nous dans la foi, sans exclure ni le soutien médical ni l’accompagnement des proches ?

L’Eglise le propose comme un outil dont les sources sont sûres et vérifiées, en accord avec la liturgie et les situations actuelles. Ceci dit, nous n’avons pas tout inventé. L’ouvrage s’inspire en grande partie du Rituel de l’Initiation Chrétienne des Adultes. En effet, celui-ci comporte tout un chemin vers le baptême qui est de l’ordre de la protection et de l’exorcisme. Il s’appuie aussi sur le Livre des bénédictions, riche mais trop peu connu, qui peut s’appliquer à des situations très diverses : départ en voyage, enfant malade, nouveau bâtiment… Lors de la bénédiction d’un objet ou d’une personne, l’idée est de donner la bonne orientation – pour le service de l’Eglise – ce qui lui donne sa vocation.

Le recueil des Messes en l’honneur de la Vierge Marie, propose notamment les messes de « Sainte Marie, secours des chrétiens » et de « Sainte Marie, pour le salut des malades » – des textes forts, pensés dans la perspective d’une vie baptismale. L’objectif de ces propositions est de relier les personnes souffrantes à la prière de l’Eglise et de leur ouvrir un itinéraire de foi qui puisse s’accorder avec la célébration des sacrements, tels que l’eucharistie, la réconciliation et dans certains cas, l’onction des malades.

Comment l’utiliser ?

Ce livre s’inscrit dans un processus plus large d’accompagnement, d’écoute et de discernement, avec l’idée d’un cadre liturgique légitime, c’est-à-dire reconnu comme « bon » par les évêques. Il s’agit d’abord d’écouter la personne. On tiendra compte de la singularité de l’histoire de chacun dans sa demande. L’objectif est de donner à la personne un regard un peu neuf sur son existence. Il s’agit de libérer « des énergies nouvelles » comme dit le chant et de les relier à un itinéraire de foi et à la vie de l’Eglise. On conseillera à certains de rejoindre un groupe de prière. On orientera d’autres vers l’eucharistie ou la réconciliation.

Prier pour demander une protection. L’idée est de déplacer la demande vers la bénédiction. Cette dimension est déjà très présente dans l’histoire d’Israël : le Christ est la bénédiction suprême du Père. Benedicere, c’est dire du bien. On le comprend mieux avec son contraire, la parole de malédiction, qui fait peur. On n’imagine pas la force de la parole ! La bénédiction a une logique qui n’est pas celle « d’appliquer une formule », comme dans une démarche magique. On va d’abord se mettre en relation avec Dieu, à l’écoute de sa Parole. Puis, en faisant mémoire de ce qu’il a fait pour nous, reconnaître dans l’action de grâce qu’il peut encore agir pour nous aujourd’hui, nous redonner confiance et force. C’est toute la différence entre religion et magie.

« Magique » désigne quelque chose qui a du pouvoir, pratiqué dans le secret, mais sans transcendance. Parce qu’on y croit, ça marche. Dans la perspective religieuse au sens large, la transcendance existe. Par ailleurs, la démarche est publique, les prières sont connues, on ne manipule pas le divin. On s’adresse à lui en lui laissant le libre champ de la réponse.

La « superstition » n’est pas du côté de la magie mais plutôt dans « l’excès de religion », comme l’a dit Saint Thomas d’Aquin. On va en « rajouter » – signes de croix, prières, eau bénite – de crainte que cela ne marche pas. On s’attache à la forme. On essaie de s’approprier le pouvoir. Il y a quand même l’idée de peur dans la superstition.

Nous proposons donc des prières de demande de protection d’un lieu (bénédiction d’une maison) ou d’une personne et d’un objet du quotidien. L’idée est de remettre sous l’éclairage de la Parole de Dieu, dans une orientation positive. Dans le christianisme, contrairement à la magie, il n’y a pas d’immanence : les objets n’ont pas de pouvoir en eux-mêmes.

Prier pour demander une délivrance. Cela évoque une liberté à retrouver par rapport à une captivité, un enfermement ou à des influences néfastes, comme les addictions. Il y aussi une sorte de mal qui détourne l’homme de sa finalité, en lui faisant perdre le sens, le fil de sa destinée en Dieu. Ce qui peut être très destructeur. On peut ressentir une aversion pour tout ce qui est religieux, pour l’Eglise. Tout cela est le fruit d’une histoire. A ceux qui accompagnent de permettre à la personne de faire la vérité sur sa souffrance, sans interpréter pour elle. Une chose est de ne pas croire exactement ce qu’elle dit comme elle le dit, une autre est de la prendre au sérieux et ce qu’elle dit comme elle le dit. Si ce n’est pas la vérité des choses, c’est la vérité de sa souffrance. Relire son expérience sous une autre lumière permet de découvrir la faille.

C’est souvent une accumulation de malheurs qui fait dire : « Quelqu’un m’en veut ! » Trouver une lecture possible, prendre de la distance, cela ne veut pas dire nier la situation ou la résoudre immédiatement, c’est chercher à restaurer l’unité intérieure de la personne, dans un chemin de pacification. La démarche de délivrance commence par une écoute, puis tente de mettre une parole sur les malheurs en les inscrivant dans une réalité pensable, avec une certaine logique. Puis, il s’agit d’annoncer une parole de miséricorde, par la prière de l’Eglise. Relier à l’Eglise pour délier.

Prier pour demander une guérison. Ces demandes sont de l’ordre du retour à la santé. Toute prière n’apporte pas forcément la guérison totale attendue. L’objectif est de conduire à un apaisement, d’offrir une voie de réconfort. A travers cela, peut s’ouvrir la liberté spirituelle de la personne, dans une articulation avec les soins et la médecine (cf Si 38, 1-12)

L’ensemble du livre est présenté sous forme de célébrations structurées, assez longues, aux nombreuses adaptations possibles, avec des options, des compléments, et même un temps de prière avec un non-baptisé. Dans ce cas précis, la constitution Gaudium et Spes (1965) est évoquée pour expliquer l’attention de l’Eglise à toute forme de souffrance ou d’angoisse. Cette réponse s’inscrit déjà dans un axe de foi dont la visée est le salut de l’homme, qui va au-delà de la guérison, vers une vie accomplie en Dieu.

Des écueils à éviter

Des mouvements charismatiques encouragent souvent à « couper les liens » pour guérir des blessures généalogiques. Dans une note sur l’influence des racines familiales, les évêques mettent en garde contre ce genre de pratique. Quand on a quelqu’un de toxique dans sa famille, prendre ses distances est sans doute nécessaire, pour, si c’est possible, recréer éventuellement des liens autrement. Couper le lien systématiquement est une fausse piste. Projeter de faux souvenirs est également dangereux. Assumer son histoire, c’est essayer de recomposer les liens d’une manière constructive, dans la foi. Autre dérive possible : trop insister sur les puissances maléfiques avec le désir de contrôler les forces du mal qui peut, de manière plus ou moins consciente, s’associer à un certain pouvoir sur les âmes.

Une fois que l’on a pris conscience de certaines forces destructrices, l’Eglise invite à rependre l’axe de vie du baptême, à se tourner vers le Christ afin de vivre selon l’Evangile.

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