Mgr Labille : « Une seule humanité habitant la même planète, la même maison commune »

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Mgr Daniel Labille, évêque émérite de Créteil.

Homélie de Mgr Daniel Labille, évêque émérite de Créteil, à l’occasion de la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2018, à Charleville-Mézières, dans le diocèse de Reims.

La première lecture de ce dimanche raconte la vocation de Samuel. L’enfant prend conscience que Dieu l’appelle par son nom. Etre appelé par son nom est l’expérience par laquelle un enfant prend conscience qu’il est une personne  unique, il prend conscience de la dignité innée chez chaque être humain. Un enfant n’aime pas d’être appelé par un autre nom que le sien. Il n’y a pas de méthode plus efficace pour avilir un homme que de chercher à lui faire oublier sa dignité d’homme en le traitant comme un numéro, comme un objet manipulé n’importe comment. Dans Isaïe, Dieu dit aux hommes : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ».

L’évangile reprend le même thème dans le récit chez Jean de l’appel des premiers disciples. Il y a d’abord le regard porté par deux disciples sur Jésus ; ils se laissent questionner par lui : « Qui cherchez-vous ? » Il les invite à le suivre : « Venez et vous verrez ». Cette rencontre ne laisse indifférents ni Jésus, ni les deux disciples. Ils font route ensemble pour mieux se connaître. L’un des deux disciples, André, heureux de cette rencontre et de cette découverte en fait part à son frère Simon : « Sais-tu qui j’ai rencontré ? Sais-tu que j’ai trouvé le Messie ? » André amène Simon à Jésus et fait les présentations. Jésus alors pose son regard sur Simon, non pas un regard qui toiserait un inconnu, non pas un regard qui juge, mais un regard qui valorise et éveille la confiance chez celui qui est regardé. Jésus l’appelle : « Tu es Simon », mais le regard de Jésus n’est pas seulement un regard qui lui dit : « Tu as du prix à mes yeux », c’est un regard qui appelle Simon à sortir de lui-même. Jésus en changeant le nom de Simon pour l’appeler Pierre, révèle aussi qu’il va lui confier une mission. Pierre n’est plus n’importe qui pour Jésus, il lui dira quelque temps après : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise ».

Tout homme a du prix aux yeux de Dieu
Que peuvent vouloir dire pour nous ces textes pour éclairer cette Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié ? La venue et la présence des migrants et des réfugiés dans notre pays est source de débats parfois violents ; c’est un sujet clivant. Il est mis en bonne place dans certains programmes électoraux ; on agite le chiffon rouge pour faire peur et déstabiliser l’opinion de beaucoup. Si nous sommes chrétiens, que nous le voulions ou non, les textes de ce jour nous rappellent que tout homme est l’objet d’un regard de Dieu qui signifie : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ». Il n’y a qu’une seule humanité habitant la même planète, la même maison commune. Nous devons vivre ensemble et nous avons intérêt à ce que cela se passe bien.

Les propositions du « vivre-ensemble » inscrites dans les évangiles ne peuvent pas être mises en œuvre sans que nous ayons à nous convertir quelque part. Au départ nous sommes appelés à changer notre regard sur les étrangers. Non pas un regard qui juge et qui veut dire : « Tu es un étranger et tu n’as rien à faire ici ». Mais un regard qui s’inspire de celui que Jésus portait sur ses disciples et sur toutes les personnes qu’il a rencontrées, un regard bienveillant et respectueux. Bernadette Soubirous à Lourdes ne savait pas au départ qui était la dame qui lui était apparue : elle disait avec étonnement : « Elle me parlait comme à une personne ». Un migrant, un réfugié est d’abord une personne aimée de Dieu avec souvent une histoire mouvementée. Elle n’est pas venue chez nous pour faire du tourisme, mais pour sauver sa vie et celle de sa famille en danger à cause des persécutions, de la corruption, de la pauvreté. On voudrait faire des étrangers la cause et les boucs émissaires de tout ce qui ne va pas chez nous. Il fut une triste époque où les juifs étaient devenus des boucs émissaires. On accuse quelquefois de la même façon les Arabes, les musulmans, les Roms. Instinctivement certains prennent peur face à des personnes qui sont différentes d’eux, de couleur différente, de religion différente, de culture différente.

Nous pouvons être étonnés de l’insistance du Pape François sur l’accueil des migrants. Certains catholiques en sont même agacés. Son premier voyage a été pour Lampedusa, une île italienne où viennent échouer les embarcations des migrants venus d’Afrique ; il a été sur l’île grecque de Lesbos  où viennent échouer les embarcations des migrants du Moyen Orient. Pourquoi cette insistance ?

Il y a bien sûr les enseignements de la Bible ; dans l’ancien testament on insiste sur l’accueil des migrants parce que le peuple juif a été lui-même émigré en Egypte où il a été esclave. Dieu l’a libéré de cet esclavage ; c’est alors un devoir pour lui d’accueillir les émigrés. Dans l’évangile, c’est une des clés qui ouvre la porte du paradis dans la parabole du jugement dernier : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ».

Verrons-nous Lazare à notre porte ?
Il y a aussi des raisons plus conjoncturelles. Il y a toujours eu des migrations ; les hommes se portent vers les régions où ils seront plus en sécurité et où ils trouveront des  moyens de vivre. En cas de besoin des pays font  venir chez eux des étrangers pour les enrôler dans leurs armées, pour relancer l’économie : la France a fait venir des Italiens, des Polonais avant 1940, puis des Espagnols, des Portugais et des Magrhébins à partir de 1950. Grâce en partie à toutes ces personnes, nous sommes devenus plus riches. Nous risquons aujourd’hui, comme dans la parabole du riche et de Lazare, de ne pas voir le pauvre qui est à notre porte.

On entend souvent dire à la suite de Michel Rocard : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », c’est vrai, mais on peut en accueillir une partie plus ou moins grande selon que l’opinion publique y sera plus ou moins favorable ; on comprend que la venue des étrangers soit régulée, mais nous pouvons modifier la place du curseur et ouvrir plus ou moins l’entrebâillement de notre porte.

Nous pouvons aussi déjà changer notre regard et ne pas prendre peur ou agiter la peur. Nous pouvons aussi agir sur l’opinion si nous ne voulons pas que d’autres s’en chargent. Témoignons que tous sur cette planète, nous sommes fils et filles du même Père. Pour y vivre en paix, nous devons mieux en partager les richesses, les espaces, les cultures. Les migrants ne sont pas des criminels et les réfugiés en particulier sont des personnes en danger. Beaucoup de ceux et de celles qui ont cheminé avec des migrants en ont été humainement enrichis. Beaucoup parmi nous sont déjà engagés dans l’accueil des migrants, sachons alors partager ce que cela nous a déjà permis de vivre et qui nous a fait grandir.

Texte paru dans "Fraternité sans frontière", publication de la Pastorale des Migrants du diocèse de Reims, reproduit avec l'aimable autorisation de Mgr Labille. La titraille est de la rédaction du site.

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