Céline Schmitt : « Changer le regard passe par donner la bonne information »
La porte-parole de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en France depuis trois ans a présenté le « Refugee Food Festival », lors de la journée d’étude 2018. Le HCR partage avec l’Eglise des postures communes, notamment la promotion des voies d’accès légales et sûres et les Pactes mondiaux sur les réfugiés et pour les migrations.
Quelle est l’histoire du HCR en France ?
Le HCR est présent en France depuis 1952, soit très peu de temps après la création de l’organisation. Il a été créé dans le but d’offrir des solutions aux personnes réfugiées après la Seconde Guerre mondiale. Puis en 1956, lors de la révolution hongroise, le HCR a joué un rôle clé dans la réponse apportée aux réfugiés, dans une collaboration inédite avec plus de 37 pays autour du monde qui se sont portés volontaires pour la réinstallation. Notre mandat s’est encore élargi avec les guerres de décolonisation en Afrique, dans les années soixante. Depuis 1967, le mandat a été étendu au niveau mondial.
Quelles sont les actions du HCR en France ?
Nous avons pour mission de veiller à l’application de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951), notamment à ce que les personnes réfugiées aient accès à l’asile ou à la protection dont elles ont besoin, jusqu’à l’intégration dans la société d’accueil. Nous avons aussi un rôle de conseil auprès des autorités françaises, dans les solutions qu’elles apportent aux réfugiés. Nous avons ainsi fait part de nos recommandations sur la nouvelle loi Asile.
Après chaque visite sur le terrain, nous faisons des recommandations. Pour Calais, par exemple, nous avions préconisé l’ouverture de « centres de répit » sur le territoire français. Ce qui a, dans une certaine mesure, été mis en œuvre après le démantèlement de la Jungle (octobre 2016, ndlr), avec la création de CAO (Centre d’accueil et d’orientation), vers lesquels les personnes ont été transférées et où elles ont pu avoir accès à la bonne information sur l’asile. Nous nous sommes rendus dans plus d’une trentaine de centres pour suivre la situation et partager les bonnes pratiques. Parmi les points d’attention, nous avons souligné les besoins : accompagnement en santé mentale, présence de médiateurs culturels, de traducteurs et d’interprètes, cours de français, accès à la formation professionnelle…
Nous soutenons également la mise en place de voies d’accès légales pour les plus vulnérables. L’Etat français s’est engagé à réinstaller 10 000 Syriens et 3 000 réfugiés au Niger et au Tchad, d’ici fin 2019.
Nous mettons en œuvre des formations auprès des officiers de protection de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Nous pilotons aussi un projet sur l’interprétariat, essentiel pour assurer une bonne protection des personnes. Le HCR a des juges assesseurs à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui prennent part à l’examen des recours.
Par ailleurs, nous encourageons les initiatives privées.
Comment participez-vous à la sensibilisation du grand public ?
Nous menons des actions de sensibilisation pour créer un environnement de solidarité et changer le regard qu’on porte en France sur les réfugiés. Il y a d’abord tout un travail avec les médias pour donner la bonne information. En juin, nous avons été sollicités par rapport à la situation de l’Aquarius, le bateau de sauvetage affrété par SOS Méditerranée. Il a fallu rappeler le droit maritime : le sauvetage en mer est une obligation internationale. Depuis début 2018, 43 000 personnes sont arrivées en Europe par la mer : ce chiffre est beaucoup plus bas qu’en 2015, où 1 million de personnes avait fait la traversée. Je rappelle souvent que la majorité des réfugiés sont déplacés dans leur propre pays : ils ne franchissent pas les frontières. En valorisant la grande générosité des populations – l’Ouganda a gardé ses frontières ouvertes et accueilli 1,4 million de réfugiés – j’invite au partage des responsabilités entre pays.
Mais il faut aussi monter des projets qui créent de la rencontre, entre population d’accueil et réfugiés. Le « Refugee Food Festival », par exemple, permet de créer des échanges dans les lieux de sortie que sont les restaurants. Si au départ, on vient pour goûter une cuisine venue d’ailleurs, on finit par poser des questions sur le chef, sur son histoire…
Nous avons lancé un partenariat avec le département du Calvados : des chefs réfugiés cuisinent dans les cantines scolaires et témoignent sur leurs « années collège ». Des ateliers favorisent le dialogue avec les jeunes : visite interactive du camp de Zaatari (Jordanie), avec « Clouds Over Sidra », grâce à un casque de réalité virtuelle ; exposition de portraits de réfugiés posant avec leur objet le plus précieux… Nous avons également mis en ligne une plateforme éducative à destination des enseignants avec des jeux par tranche d’âge.
En 2018, pour la Journée mondiale du Réfugié (20 juin), nous avons montré, à Ground Control (Paris 12e), des portraits de familles – dont 6 françaises – qui accueillent des réfugiés dans toute l’Europe. Le soir, des jam sessions ont réuni des réfugiés (les Syriens de Refugees of Rap, le flûtiste soudanais Gandhi Adam…) et des grands noms de la musique française, comme Matthieu Chedid et Catherine Ringer. Lors de tels évènements, les stéréotypes comme les barrières tombent, la peur se dissipe.
Comment voyez-vous le rôle des religions dans le contexte actuel ?
Le mot « asile » vient du grec et signifie « sanctuaire ». La culture de l’asile et de l’accueil sont ancrées dans les traditions religieuses. Marie, Joseph et Jésus ont fui en Egypte et ont été accueillis (Mt 2, 13). En France, l’Eglise catholique participe à l’accueil, peu importe la religion des exilés. L’exemple des sœurs en Alsace n’est pas un cas isolé (cf encadré).
Je pense que l’Eglise a aussi un rôle à jouer pour faire passer des messages de solidarité, pour contrer la peur et lutter contre la xénophobie. J’ai été invitée par le Secrétariat général de l’Enseignement catholique à présenter à des responsables le contexte mondial, la question de l’éducation, la protection des enfants et notre plateforme pédagogique. L’Eglise s’adresse à ses fidèles mais elle peut toucher un public plus large.
La coopération entre les différentes religions est très importante. J’ai notamment été dans la région des Grands Lacs en Afrique. En Centrafrique, tout réfugié dira que c’est la crise politique qui a créé des violences entre les communautés religieuses. En RDC, une religieuse catholique italienne et un imam congolais ont travaillé ensemble pour adresser des messages prônant la paix et la réconciliation. Nous avons collaboré avec eux car les camps de réfugiés accueillent chrétiens et musulmans. Les leaders religieux ont eu un rôle clé dans la réconciliation et la coexistence.
Comment voyez-vous la société française évoluer par rapport aux migrants et aux réfugiés ?
Des manifestations de peur ont eu lieu mais nous constatons aussi beaucoup de solidarité. Beaucoup de personnes souhaitent s’impliquer. A partir de 2015, nous avons reçu de nombreux appels téléphoniques de particuliers pour du bénévolat ou des dons. Un de nos services collecte des fonds pour les urgences, dont les crises syrienne et soudanaise.
L’enquête de « More In Common » sur la perception des Français des migrants est utile pour savoir sur qui nous pouvons nous appuyer pour relayer nos messages et pour évaluer la pertinence de nos programmes. Ils ont salué nos actions dans la gastronomie et la musique – deux langages universels – et dans les écoles. Nous allons prochainement mesurer l’impact de ces interventions en terme de sensibilisation, d’accès à l’emploi et d’intégration des chefs réfugiés.
Comment le HCR est-il impliqué dans la négociation des Pactes mondiaux ?
Nous pensons que pour trouver des solutions à la situation actuelle, il faut aller plus loin. Nous travaillons sur un Pacte mondial sur les réfugiés, depuis la Déclaration de New York, il y a deux ans. Les 193 Etats membres des Nations Unies se sont réengagés sur le principe de protection internationale et sur une nouvelle façon de se partager cette responsabilité dans le monde. Ce pacte mondial implique tous les acteurs de la société pour travailler ensemble sur des solutions : les Etats, le secteur privé, la société civile, les communautés religieuses, les universitaires, etc. Le document final devra notamment renforcer le droit d’asile dans les pays de premier accueil des réfugiés, comme le Niger. Il sera soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies à l’automne 2018.
Réinstallation chez des religieuses en Alsace
En décembre 2017, les sœurs franciscaines de Thal-Marmoutier (67) ont accueilli 55 réfugiés dans leur couvent, pour une durée de quatre mois. Autant en avril 2018. Sous la houlette du HCR et en collaboration avec l’OFPRA, les bénéficiaires de ce programme, originaires d’Afrique sub-saharienne, ont d’abord été évacués des centres de détention de Libye vers des centres de transit au Niger. Après une réunion d’information publique « houleuse », c’est tout le voisinage qui s’est mobilisé en faveur de ces nouveaux arrivants.