Aux frontières, l’Eglise pourrait avoir un rôle de médiation

Laurent Giovannoni, responsable du département accueil et droits des étrangers au Secours catholique – Caritas France.

Laurent Giovannoni, responsable du département accueil et droits des étrangers au Secours catholique – Caritas France.

Constats et enjeux de la situation aux frontières françaises par Laurent Giovannoni, responsable du département accueil et droits des étrangers au Secours catholique – Caritas France.

Quels constats le Secours catholique fait-il aux frontières intérieures françaises ?

A la frontière franco-italienne, nous sommes témoins de multiples problèmes : besoins primaires et sanitaires non satisfaits, droits bafoués pour les mineurs, refoulement de migrants « dublinés » dans des conditions anormales, militants poursuivis pour délit de solidarité… Nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas agir seuls. Fin 2016, nous avons rapidement proposé à Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, La Cimade et Amnesty International de travailler ensemble pour compléter nos actions, en terme de soutien aux acteurs locaux, sur le plan humanitaire comme sur celui de la défense des droits, dans une articulation plus étroite entre les acteurs italiens et français, avec la Caritas Vintimille évidemment mais pas seulement, car les organismes caritatifs italiens étaient mieux organisés que nous. Avec ces cinq grandes associations nationales, nous avons impulsé une Coordination inter-associative (CAFFIM) pour mettre en lien les acteurs français et italiens, avec pour  objectif de susciter à la frontière franco-italienne une véritable complémentarité et solidarité des deux côtés de la frontière. Pour soutenir cette démarche et assurer les mises en lien, une chargée de mission commune à nos cinq associations a été recrutée, basée à Nice.

Lors de notre  comité de pilotage de novembre dernier, il s’agissait de décider, après 15 mois d’actions, comment continuer – car il faut des moyens financiers – mais aussi avec quels objectifs, sachant que la situation a gagné l’ensemble de la frontière franco-italienne et qu’on parle moins de Calais ou de Grande-Synthe, où pourtant entre 2000 et 3000 personnes sont en errance le long du littoral franco-britannique.

Or la situation est sensiblement de même nature : aucun dispositif public pour répondre aux besoins primaires (mise à l’abri, installations sanitaires, distribution de nourriture), violations systématiques des procédures (protection des mineurs ou examen des demandes d’asile), pratiques policières proches du harcèlement (destruction des abris et des affaires personnelles des migrants) et intimidation ou menaces – voire poursuites- à l’égard des personnes qui aident. On retrouve ces caractéristiques le long de la frontière avec l’Italie et avec l’Angleterre.

Ces pratiques semblent se généraliser  aux frontières intérieures françaises. Leurs caractères font système, et leur confèrent l’aspect d’une politique qui, aux frontières, s’affranchit des règles de l’Etat de droit, une politique inséparable d’une volonté d’externalisation des frontières. Il faudra observer de près la frontière franco-espagnole puisque c’est désormais par cette voie qu’arrivent les personnes migrantes. Les cinq associations nationales regroupées dans la coordination se donnent  pour projet de dresser un premier état des lieux, et si possible, d’aider à  coordonner les acteurs français et espagnols, et de produire un rapport commun sur les frontières.

Comment le Secours Catholique est-il impliqué en terme de plaidoyer ?

Nous soutenons l’ouverture de voies d’accès légales et sûres (visas, Couloirs humanitaires). Nous demandons une remise en cause complète des accords de Dublin qui créent des milliers de personnes errantes, accueillies nulle part. Ceux-ci, mis au point en 1990 par les ministères de l’Intérieur des Douze pays alors membres de l’UE, organisent l’égoïsme de chaque état puisque l’examen revient au pays qui a laissé le demandeur d’asile entrer sur son territoire. Il faut faire un saut qualitatif dans l’accueil des demandeurs d’asile au niveau européen. Or en 2015, les pays d’Europe centrale (groupe de Visegrad) se sont opposés au projet de relocalisations proposé par la Commission Européenne qui prévoyait que les exilés arrivés en Grèce et en Italie puissent être répartis dans d’autres pays d’Europe.

Quel regard portez-vous sur les politiques migratoires en Europe ?

Les partis politiques sont d’une frilosité sur le sujet ! En Europe, le seul pays aujourd’hui où le sujet semble ne pas faire l’objet d’instrumentalisation politique est le Portugal. Il y a consensus pour qu’il prenne sa part dans l’accueil.

Pendant la campagne présidentielle en France, le candidat Macron avait pris des positions plutôt en appui à la politique menée en Allemagne par Angela Merkel. Après l’élection, rien n’en est sorti. On a surtout l’impression que le gouvernement n’a pas de politique. Il poursuit, en l’aggravant, ce qui a été fait avant, sans aucune orientation nouvelle.

Si les associations font des propositions, elles ne pèsent pas lourd face à l’opinion publique. C’est là où intervient tout le travail mené ensemble, avec More In Common France, sur l’état de l’opinion publique, et notamment des catholiques. Celle-ci n’est pas si fermée : si l’on parvient à aborder le sujet de façon moins passionnée et plus pragmatique, la grande partie des Français n’est pas sur une vision binaire « On ouvre tout/On ferme tout ». Pas de fermeture a priori : il y a donc de l’espace pour construire quelque chose de positif. Mais les positions que nous défendons sur une politique plus ouverte ne sont pas majoritaires. On le sait.

Aujourd’hui on aurait tout intérêt à ce que beaucoup de personnes soient régularisées. Personne n’ose le faire. Plutôt que de laisser des hommes, des femmes et des enfants, dans la précarité, s’abîmer dans une absence de projet qui risque de  coûter très cher plus tard à tout le monde C’est vraiment une politique à courte vue.

Quel rôle l’Eglise peut-elle jouer aux frontières ?

Une rencontre des évêques aux frontières aurait du sens, si les associations des deux côtés de la frontière sont présentes aussi et si cela permet, au-delà du signal et du message, de renouer des liens qui n’existent plus, de pousser les pouvoirs publics à entrer dans une discussion pragmatique avec les associations pour apporter des réponses. L’Eglise peut avoir, non pas un rôle d’action, mais de médiation. Elle pourrait, au moins au niveau local, des deux côtés d’une frontière, rassembler les pouvoirs publics et les partenaires associatifs pour voir ce qui peut être fait ensemble, dans le respect de la dignité des personnes et de leurs droits.

Que dire de l’externalisation des frontières de l’UE ?

L’Union européenne fait reposer sur les pays tampons (pays du Maghreb, Turquie, Libye, Egypte) le soin de retenir les arrivées de migrants. Elle le fait par des pressions politiques, diplomatiques, économiques et même quasi militaires, puisqu’il ne reste en Méditerranée que les bateaux des garde-côtes libyens et les navires européens de surveillance. Cette solution fait peser sur eux une responsabilité qui n’est pas la leur. Or pour un pays comme la Libye, la démocratie et l’état de droit relèvent du rêve. Cela revient à renvoyer les personnes migrantes dans des réseaux de traite humaine où elles risquent torture et mauvais traitements. Conséquences : des milliers de morts en Méditerranée et sans doute tout autant sur les routes migratoires.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNPMPI)

campagne_caritas_familleA l’approche des élections européennes
" Nous encourageons les citoyens à entrer dans une meilleure compréhension des phénomènes. Nous les invitons à aller à la rencontre des migrants. On le voit : l’accompagnement des personnes change le regard. Si l’on ne parvient pas à ouvrir les esprits, on ne changera pas les politiques. La rencontre permet de sortir des débats irrationnels. Même si tout n’est pas facile, il n’y a aucune raison de faire de l’accueil des migrants un problème. Que les politiques aient le courage de prendre des décisions qui vont dans le sens du respect de l’humanité et du Bien commun ! Passons à l’action pour sortir des idées toutes faites et pour avancer avec les migrants et les réfugiés, dans une attitude apaisée".

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