Le Père Pierre Humblot accompagne des convertis musulmans d’Iran

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P. Pierre Humblot.

Incardiné dans l’Eglise chaldéenne, revenu en France depuis dix ans, le prêtre accompagne des convertis musulmans d’Iran. « Roue de secours des paroisses », il a développé de nombreux outils en farsi, notamment numériques. Il relit sa vocation de prêtre du Prado au service du monde musulman, une mission qui a rencontré des freins certains, et tire l’alarme : « Ces Eglises sont en train de disparaître ». Propos recueillis par Claire Rocher (SNPMPI).

Pourquoi avez-vous consacré votre sacerdoce au monde musulman ?

Un jour, pendant mon service militaire en Afrique du Nord, je participe à la surveillance d’un petit village de montagne qui avait demandé un médecin. On repère aux jumelles un homme armé d’un fusil. Alors que la patrouille monte, je fais le tour et me retrouve à vingt mètres de lui : il ne m’avait pas vu. Est-ce que je le tue ? Je tire en l’air et il me tue ? S’il monte en direction de la patrouille, mes camarades vont se faire tuer. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, avant de partir en priant pour qu’il ne me voie pas et qu’il ne me tue pas. Cet épisode m’a beaucoup marqué.

Après mon service militaire, j’ai travaillé comme infirmier dans une léproserie près de Casablanca, au Maroc. La lèpre, à l’époque, était une maladie très difficile à soigner. Or j’ai vu chez des musulmans, très abîmés dans leur chair, un sens de Dieu, de la prière, du jeûne et de l’adoration qui a fait que moi, séminariste, je me suis aperçu que Jésus n’était pas seulement mon grand ami : il était aussi Fils de Dieu. Donc d’un certain point de vue, c’est l’islam qui m’a converti !

Rentré en France avec ces deux expériences, j’ai été accepté au Prado. Mais était-il nécessaire, au service du monde musulman, d’être prêtre ? Ceux-ci ne me demanderaient en aucune façon les sacrements. Ne suffisait-il pas d’être simplement consacré ? Le Supérieur m’a dit que j’avais tout ce qu’il fallait pour être ordonné mais j’ai demandé de terminer ma théologie en monde arabe. En 1961, j’ai été envoyé au Liban, chez les Jésuites. Ensuite, j’ai étudié l’arabe, le Coran et la théologie orientale. Comme j’étais responsable de la fondation du Prado d’Orient – c’est-à-dire d’un certain nombre de jeunes prêtres et de séminaristes qui s’orientaient vers le Prado – et que le Prado est destiné au service des pauvres, plutôt que de leur faire des homélies sur la pauvreté selon l’Evangile, je suis allé habiter dans un bidonville où, pendant les vacances, je les invitais à retirer leur soutane et à venir travailler sur le dépotoir des ordures… Autant vous dire qu’ils s’en souviennent ! Au bout de sept ans, j’ai eu l’impression qu’ils étaient suffisamment mûrs pour prendre la responsabilité de la suite.

Comment avez-vous découvert l’Iran ?

A ce moment-là est arrivé un appel de l’évêque chaldéen, auxiliaire de Téhéran, demandant au Prado de l’aide. J’étais donc disponible et j’avais lu quelques livres sur la civilisation perse. Je suis arrivé en Iran en 1969, dix ans avant la Révolution islamique. J’ai été très étonné par mes premiers contacts : entendre des musulmans parler de « Dieu amour » [NDLR : Nous sommes en effet en contexte chiite. Or en contexte sunnite on parle de Dieu plutôt en terme de « Miséricordieux »]. Pour moi – mais pas pour les musulmans – cela faisait écho à la Trinité. J’étais en train d’apprendre le persan – qui n’a rien à voir avec l’arabe et qui n’est pas la langue de l’Eglise chaldéenne – dans les quartiers pauvres de la capitale. Entre deux bouquins, j’allais au Bazar. J’y ai fait la connaissance d’un petit vendeur de plats en aluminium. Quand un client arrivait, j’avais remarqué qu’il fermait son tiroir. Dès que le client partait, il l’ouvrait à nouveau. Au bout d’un moment, nous avions suffisamment bu de thés ensemble pour que je lui pose la question. « Dans mon tiroir, il y a un livre d’Hafez ». Le grand poète mystique persan (1325-1389).  Ce petit gars-là était un homme sensationnel ! Certains pensent, qu’Hafez était un « crypto-chrétien » … Ensuite j’apprends que le vendeur aidait la léproserie de Tabriz, au Nord-Ouest de l’Iran, où j’avais des amis. Pourquoi ? « Ecoute, me répond-il, le bon Dieu les aime bien ces pauvres gens. Alors, moi, pourquoi pas ? » J’ai décidé de rester !

Avec l’évêque auxiliaire, j’ai fondé un centre destiné à la formation chrétienne des adultes. Il s’agissait de former des chrétiens pour en faire des catéchistes, dont certains sont devenus prêtres mariés. Vous savez que dans toute l’Eglise catholique, on ordonne des hommes mariés sauf dans l’Eglise latine : c’est l’exception. Avant la Révolution islamique, il y avait deux ou trois convertis : c’était rare et ils ne se cachaient pas.

A partir de 1978, Khomeiny, qui était en France, a lancé une propagande islamiste très forte, avec manifestations, répression… Le chah était pour une « américanisation » de l’Iran très rapide. Il était contre le clergé chiite qu’il ne voulait pas voir interférer avec les affaires de l’Etat. Ce que ce dernier ne supportait pas : c’est la raison pour laquelle Khomeiny est arrivé. Changement de régime.

Grâce à ce que j’ai fait pendant la Révolution, j’ai obtenu la nationalité iranienne ce qui m’a permis de rester. 85% du clergé étranger a été expulsé. La plupart travaillait dans des grandes écoles, essentiellement avec des élèves musulmans, parce qu’elles coûtaient cher. Ils y apprenaient l’anglais, le français ou l’italien pour passer des examens et partir à l’étranger.

Pour quelles raisons les musulmans iraniens s’intéressent-ils au christianisme ?

Après la Révolution islamique, certains jeunes n’acceptaient plus l’enseignement des mosquées et une religion imposée par la police. Donc ils cherchaient ailleurs, notamment dans le christianisme. Or les Eglises constituées n’acceptaient pas de les recevoir : c’était dangereux ! Cela remettait en cause la dimension ethnique des Eglises : un Persan ne peut être ni chaldéen, ni arménien.

Ces Eglises sont très marquées par leur langue [NDLR : araméen, arabe, arménien….] et leur culture. Et le régime, voyant l’importance de la vague de conversions, les a menacés de fermeture. Les Presbytériens comme les Pentecôtistes, qui parlaient persan dans leur liturgie, ont dû fermer. Mais ces Protestants ont fait un très beau travail en montant des « Eglises de maison » : ces communautés se réunissent chez un animateur. C’était très risqué. Aujourd’hui certains responsables sont en prison. D’autres ont été tués.

Dans une famille nombreuse iranienne, très musulmane, la fille aînée a un songe. Elle se trouve crucifiée, pendant quatre heures. En reprenant ses esprits, elle avait très mal. Sa famille pense qu’elle est possédée du démon. Elle explique : « J’aime tout le monde ! Je veux embrasser tout le monde ! Ce n’est pas le démon ». Elle fait des recherches. Une Arménienne lui transmet, en douce, un évangile en persan. Découverte magnifique ! Elle va frapper à la porte des églises qui restent fermées jusqu’au jour où un évêque à l’étranger l’accueille, demande à un prêtre de la former et la baptise. Apprenant cela, son mari lui prend tout ce qu’elle a et la renvoie dans sa famille. Son père l’attendait avec un gourdin. Battue par ses deux parents, elle est aspergée de pétrole et menacée d’être brûlée vive si elle ne renonce pas à sa foi chrétienne. Enfermée, elle est délivrée la nuit par sa sœur et s’enfuit en Turquie. Sa jeune sœur aura les deux bras cassés par leur père… Rentrée en Iran, elle se cache chez un oncle à Téhéran puis arrive au Centre Saint-Jean, dont j’avais la responsabilité. Nous poursuivons sa formation et elle collabore avec nous pour des traductions. Un jour, elle tombe sur un avis de recherche, distribué par ses frères dans les paroisses de Téhéran. On ferme alors le Centre et elle disparaît jusqu’à ce qu’on puisse la faire partir pour l’étranger. Par d’autres chemins, sa sœur se convertit. Son jeune frère, travaillant pour un Arménien chrétien, se pose des questions et se convertit, avec son épouse. Par crainte du père, il cache son épouse et leur enfant, s’exile à l’étranger où il a retrouvé une de ses sœurs mais n’a plus de nouvelles de son foyer.

En France, quels moyens avez-vous développé pour eux ?

En France, je travaille avec une équipe de convertis très investis dans la traduction. Nous avons notamment rédigé un dictionnaire dont les mots sont traduits en anglais, français et persan, puis expliqués. Nous avons créé deux sites Internet, entièrement en persan : irancatholic.com (pour les adultes) et isabato.com (pour les enfants et les jeunes). Nous proposons 350 livres traduits en persan, dont la Bible. Ces sites sont très visités depuis l’Iran et nous recevons beaucoup de questions, auxquelles nous répondons.

Certains Iraniens viennent me voir à Paris. Des curés m’envoient des personnes. Je les reçois individuellement.

Au début, je cherche à ce qu’ils expriment leurs questions, qu’ils écrivent leur cheminement pour qu’ils se rappellent comment l’Esprit Saint a travaillé en eux pour les amener à se convertir. Cela se fait toujours en lien avec leur paroisse territoriale – de l’Eglise latine et non pas chaldéenne. En effet, les Chaldéens sont arabes et ne parlent pas le persan. En France, les Chaldéens sont des Irakiens réfugiés. Les Iraniens chaldéens vivent plutôt aux Etats-Unis.

Nous formons sur un an et demi, voire deux ans. Or certains me demandent des attestations pour l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) mais je refuse d’accélérer la formation pour un certificat de baptême.

Comment mieux intégrer les migrants convertis de l’islam dans nos communautés ?

Ma démarche d’accompagnement des convertis a rencontré des freins certains. On m’a dit : « Ayez la certitude que la personne ne soit pas persécutée ». C’est impossible ! Cela signifait : « Ne baptisez pas ». On m’a dit aussi : « La conversion tue le dialogue interreligieux ». Dans le Coran, on trouve deux types de sourates : les sourates de la Mecque, les premières, courtes et religieuses, et celles de Médine, davantage politiques et militaires. Certaines sourates de Médine s’opposent fortement à toute conversion, affirmant que ceux qui quittent la religion musulmane vont en enfer. L’islam est une religion monothéiste. Dieu est l’Unique. Il ne fait pas alliance comme avec Abraham. Il impose une Loi. Un certain nombre de musulmans ont peur de Dieu. Alors quand ils découvrent Jésus Christ, c’est l’éblouissement !

Je suis « la roue de secours » des paroisses ! A tous ceux qui viennent me voir, je demande d’aller le dimanche dans leur paroisse, pour faire connaissance avec le curé et les paroissiens. S’ils ont des questions, je leur explique. Au fur et à mesure qu’ils apprennent le français, ils vont entrer dans leur famille. C’est là-bas qu’ils seront baptisés. Moi je ne baptise pas. Pourquoi ? Parce qu’il faut qu’ils fassent partie de l’Eglise locale et donc qu’ils soient baptisés dans leur paroisse. J’y tiens absolument. Ils sont habituellement bien reçus et souvent progressivement accueillis dans le groupe de catéchumènes local. Il est très important qu’ils se rendent compte qu’ils ne sont pas les seuls à chercher Jésus Christ. Il y a d’autres catéchumènes, dont certains venus d’autres pays. Souvent, ils restent très attachés à la paroisse qui les a accueillis, a participé à leur formation et où ils ont été baptisés.

Quel regard portez-vous sur l’Iran que vous avez quitté il y a bientôt 10 ans ?

Aujourd’hui, je ne suis pas sûr de souhaiter un changement de régime. Par qui le remplacer ? Cela risque d’être un bain de sang terrible. On a déjà fait la Révolution là-bas. Or les Gardiens de la Révolution ne sont pas enfants de chœur ! Et avec les sanctions américaines, les gens ont faim en Iran. Dans toute la région, il faut y regarder à deux fois avant de changer quoi que ce soit !

En Iran, la majorité des étudiants sont des femmes, alors qu’elles sont soumises à une pression très forte. Mais parmi les convertis, il y a moins de femmes.

Quelle est la situation de l’Eglise en Iran aujourd’hui ?

D‘après mon ancien évêque, le patriarche de l’Eglise chaldéenne, Mgr Raphaël Sako, la majorité des chrétiens « de naissance », c’est-à-dire les Arméniens non catholiques (« monophysites ») sont au maximum 120.000, pour une population de 80 millions d’habitants. Les Chaldéens, qui ont perdu les 9/10èmes de leurs fidèles, seraient 2.500. L’Eglise Assyrienne (non catholique) compterait peut-être 3.000 fidèles. Les Arméniens catholiques, 500, et les Latins, le même nombre. Dans mon diocèse de l’Eglise chaldéenne, qui fait deux fois la France, on compte deux prêtres à Téhéran. Ces Eglises sont en train de disparaître ! Je me souviens des rues encombrées lors de la fête de Pâques. Aujourd’hui, ils sont tous partis. Comment interpréter une Eglise traditionnelle en train de disparaître et en même temps des conversions. Persécutées et massacrées pendant des siècles, ces Eglises traditionnelles, ethniques, se meurent.

Quels seraient vos conseils pour le catéchuménat des migrants ?

Que les responsables soient en lien avec les paroisses territoriales pour que les curés s’intéressent aux catéchumènes et les accueillent. Certains instruments de travail sont traduits dans plusieurs langues, comme le YOUCAT.

Les convertis…

Ils ont une flamme intérieure, une soif. Certains me disent : « Chaque fois qu’on vient ici, on est heureux ». La joie est un signe !

Un des premiers catéchumènes était issu d’un mouvement musulman extrémiste est devenu séminariste. Venu en France, il a finalement été ordonné en juin 2018.

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