A Langres, des migrants montent sur scène
Le spectacle « Théâtre porte ouverte » a été joué pour la première fois en juin 2017, à Langres (52). 20 personnes s’impliquèrent dans cette aventure : 15 acteurs dont 11 migrants, plus 5 personnes qui encadraient les acteurs. Une expérience positive, vécue en milieu rural, en lien avec le thème du Courrier de la pastorale des migrants et la Rencontre « Terres d’Espérance 2020 ».
Venus de la Jungle de Calais (62), les premiers migrants sont arrivés à Langres en novembre 2015. Accueillis par les autorités civiles et les responsables du CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile), ils ont été installés dans un centre de mise à l’abri, à 2 km de la ville. Une pétition a tout de suite circulé dans le village voisin : « Pas d’étrangers ici, pas de djihadistes chez nous ! » Les gens étaient suspicieux, ils se méfiaient. Certains étaient vraiment contre. Aujourd’hui encore, nous constatons ces réactions. Le CADA a très vite fait appel à des bénévoles pour apprendre les rudiments de français aux nouveaux venus. Appel entendu, puisque 22 personnes sont venues proposer leur aide. Ce groupe de bénévoles de la première heure, très soudé, généreux, solidaire, refusant l’indifférence, s’est vite mis au travail : alphabétisation, activités variées pour occuper les arrivants et les aider à chasser les images de guerre, de persécutions et les dangers des routes de l’exil… Hébergés provisoirement dans l’attente d’une issue administrative, les familles ont été peu à peu dirigées vers d’autres centres d’accueil.
Un nouveau groupe est arrivé, des garçons de 18 à 28 ans, hébergés dans plusieurs appartements du CADA, à partir d’avril 2016. A cette même période, un autre centre d’accueil et d’orientation (CAO) a ouvert ses portes, dans la ville de Langres, pour 75 autres migrants. Leur arrivée n’a pas fait reculer le groupe de bénévoles. Ils ont continué à assurer l’alphabétisation, à organiser des activités. Habité par un désir fort de tenter l’expérience du théâtre avec de jeunes réfugiés, Werner E., enseignant à la retraite, a lui-même vécu, alors qu’il était enfant et adolescent, cette vie de migrant, suite à la chute de l’Empire austro-hongrois, après la Première Guerre mondiale, et aux affrontements nationalistes qui ont suivi. Il en parle au groupe de bénévoles : un atelier théâtre, pourquoi pas ? Beaucoup sont enthousiasmés par le projet : « Le théâtre porte ouverte » est né.
« On ne voit bien qu’avec le cœur » (Saint-Exupéry)
La pièce est une adaptation de l’oeuvre d’Antoine de Saint-Exupéry : Le Petit Prince. « L’auteur a misé sur la force du message humanitaire, sous la forme d’un conte, avec un personnage réfugié d’une autre planète. Message qui nous oblige à réfléchir à ce qu’il signifie de nos jours et qui nous montre le chemin : on ne voit bien qu’avec le cœur » explique Werner, auteur et metteur en scène du futur spectacle.
Il faut se lancer, tout est à faire. Des solidarités se mettent en place : la mairie mettra à la disposition des bénévoles une salle de répétitions ; les comédiens et le technicien de « La joyeuse compagnie » apportent leur savoir-faire. Ils prêtent du matériel technique, des décors, des costumes. Des habitants du quartier sont invités à se joindre au groupe, quelques-uns répondront à cet appel, tout comme les élèves de la section théâtre du lycée voisin et… les migrants qui viennent voir, intrigués. Il faut les réunir, leur expliquer le projet. Ils ne maîtrisent pas la langue et le théâtre est un monde inconnu pour eux.
Les répétitions s’organisent : ils viennent ou ne viennent pas. Tous sont passés par des moments difficiles : ils sont inquiets pour leur famille qu’ils cherchent à joindre quotidiennement, marqués par leur fuite, souffrant de solitude, ils ne trouvent pas le sommeil et s’endorment dans la journée… puis oublient les rendez-vous. Quelle réponse apporter, si ce n’est être à leur écoute ? Etre patient, les soutenir, s’adapter à leur rythme, accepter leurs absences et sans cesse expliquer, répéter, recommencer, accompagner. Il faut prendre le temps pour ne pas les bousculer. La préparation a duré un an.
L’hospitalité, une attitude missionnaire
Les bénévoles n’ont pas fait de miracles et le spectacle n’a pas résolu tous les problèmes des jeunes migrants. Mais il a permis des échanges en vérité, parce que chacun accueillait l’autre dans sa dignité d’être humain et avec sa culture différente. Tous étaient fiers de leur spectacle. Les migrants ont repris confiance en eux et peut-être, aussi, espoir en l’avenir, ont surmonté des obstacles. Le groupe était soudé et des amitiés sont nées. Des liens se sont noués, à tel point qu’ils perdurent même lorsque les migrants quittent Langres, après avoir obtenu leurs papiers. Par ailleurs, ils ont permis de réunir et faire travailler ensemble des gens qui ne se connaissaient pas auparavant et qui, maintenant, s’emploient à tisser, petit à petit, un réseau d’accueil et de générosité sur le territoire local.
Les valeurs évangéliques de paix, de justice, d’amour sont devenues « sel de la terre », à la fois pour les bénévoles chrétiens et pour les non-chrétiens. Ce qui est en jeu, c’est cette attitude missionnaire qu’est l’hospitalité : aller habiter dans le pays de l’hôte et de l’autre, pour essayer de le comprendre, c’est-à-dire convertir son propre regard. Dans l’Evangile, l’hospitalité est un commandement récurrent : c’est accueillir Dieu lui-même.
Dans la rencontre de l’autre, dans le dialogue qui naît, sur le chemin du quotidien, dans toutes nos démarches, qu’est-ce que je deviens, et qu’est-ce que nous devenons ensemble ? Être proche de l’étranger, l’accueillir, c’est faire l’expérience de son étrangeté et lui, de la nôtre. C’est apprendre chaque jour avec lui le combat, la patience, la persévérance, le respect. C’est une aventure spirituelle à l’image de celle qu’ont vécue les disciples d’Emmaüs. C’est une Révélation incroyable qui ouvre un chemin de fraternité avec chacun de nos compagnons de route. C’est un chemin de vie pour tous !
Annick Doucey avec Dominique Cadet, responsable de la formation du diocèse de Langres