Coronavirus : « Le lendemain des confinés » par Mgr Jachiet

Evêque auxiliaire de Paris

Mgr Denis Jachiet, évêque auxiliaire de Paris

Plusieurs semaines de confinement ont transformé la vie des Français comme jamais depuis la Libération, puisque aucune des crises précédentes n’avait été jusqu’à arrêter presque entièrement le pays. Il n’est pas inutile de se demander ce qu’il va en rester lorsque ce virus aura disparu et que la vie ordinaire aura repris son cours. On se racontera des souvenirs. Peut-être aurons-nous mieux pris conscience des fragilités de nos sociétés ? Aurons-nous fait évoluer nos modes de vie et manières d’agir ? Bref, comment sortirons-nous de cette crise : un peu plus ou un peu moins humanisés ?

Pour poser un regard neuf sur ce qu’il nous est donné de vivre, comparons l’exil intérieur du confinement avec l’exil extérieur de la migration.

Le virus du Covid-19 nous a progressivement contraints à perdre notre liberté de mouvements : il nous est actuellement impossible de nous rendre au travail, en vacances, en week-end. Notre horizon s’est soudain rétréci à la vue de notre fenêtre et aux commerces de proximité. Les migrants ont fait usage de leur capacité de se déplacer mais nous savons combien ce voyage de l’expatriation leur a coûté cher. En exerçant leur liberté d’émigrer, nombre d’entre eux se sont retrouvés privés de liberté, enfermés en centres de rétention, parqués dans des camps de réfugiés ou terrés dans les planques des passeurs.

Le confinement actuel se vit comme un trop ou un pas assez de relations, et parfois les deux. Ceux qui étaient seuls sont maintenant isolés, ceux qui vivent ensemble subissent une promiscuité qui pèse et peut tourner à la violence. Les uns comme les autres n’ont plus accès à ces ballons d’oxygène de la vie relationnelle que sont les visites amicales, les embrassades de ceux qu’on aime, les sorties entre amis. Nos amis migrants connaissent eux aussi la profonde solitude d’être séparés de leurs proches, ils connaissent aussi la promiscuité des lieux d’hébergement précaires, ils savent encore mieux le besoin vital de réseaux d’amitiés pour affronter les multiples adversités de la migration.

La présence prophétique des migrants

Aujourd’hui, pour mettre un pied dehors, chacun de nous doit être muni du précieux sésame de « l’attestation de déplacement dérogatoire », sous peine de se voir éventuellement verbalisé d’une amende de 135 €. Un migrant sans-papiers – ils sont évalués entre 300 000 et 400 000 sur le territoire français – vit avec la peur au ventre d’un contrôle qui le mènera en centre de rétention administrative et se terminera éventuellement par l’expulsion.

Reconnaissons que la crise sanitaire actuelle suscite aussi une belle floraison de solidarités. Le dévouement des soignants réguliers et volontaires, les soutiens qui leur sont manifestés, les initiatives d’aides aux personnes en fragilité et les nombreux bénévoles qui s’y consacrent sont autant de signes que l’adversité révèle aussi le meilleur. La rencontre avec des familles de réfugiés, avec des migrants mineurs non accompagnés ou des femmes seules suscite, chez nos concitoyens, même là où ne l’attendrait pas, des gestes de compassion, des solidarités personnelles et collectives qui semblent contredire en partie ces postures de peur et de rejet des migrants qui sont, hélas, devenues banales dans nos pays nantis.

L’épidémie du coronavirus nous révèle d’incontestables fragilités de nos sociétés : sanitaire, économique et sociale. Cette vulnérabilité, plus grande que tout ce que les gouvernants avaient été capables d’imaginer, touche tous les pays, même les plus puissants. Et si la présence des personnes en migration à nos frontières, dans nos périphéries ou nos centres d’hébergement pouvait être aussi perçue comme un signe prophétique, une invitation à changer des comportements marqués par une vision matérialiste et individualiste ?

Demandons au Seigneur, qu’après la crise du Covid-19, une meilleure conscience de notre fragilité nous rende plus soucieux de la place que nous donnons aux personnes vulnérables, à la veuve, à l’orphelin et à l’immigré, et que s’accomplisse sa promesse : « Tu te réjouiras en présence du Seigneur ton Dieu, au lieu choisi par le Seigneur ton Dieu pour y faire demeurer son nom, et avec toi se réjouiront ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite qui réside dans ta ville, l’immigré, l’orphelin et la veuve qui sont au milieu de toi. » (Dt 16, 11)

Mgr Denis Jachiet, évêque auxiliaire de Paris

Référent pour la Pastorale des Migrants

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