« Collaborer pour construire la paix » au Soudan du Sud
Il y a quelques années, j’ai été invitée par la Commission Justice et Paix de Rumbek, au Soudan du Sud, pour animer une formation sur la résolution non-violente des conflits. Les participants étaient des jeunes adultes, toutes et tous responsables au sein de la pastorale des jeunes de leur diocèse ou pasteurs de l’Église protestante et anglicane. J’étais admirative de leur dynamisme et de leur intelligence brillante et créative, parfois propre aux personnes qui n’ont pas eu de scolarité digne de ce nom mais qui ont cultivé une intelligence du cœur. Lors de cette formation, une surprise m’attendait.
Je me suis rendu compte que parler du respect de l’autre, des droits humains, de justice, de liberté d’expression et de démocratie, etc., tout cela au service de la paix, c’était comme leur parler chinois. Pendant les pauses et non sans honte, certains sont venus m’interroger. Ils connaissaient les termes, mais c’était pour eux comme des coquilles vides. Personne n’avait jamais vu ces choses dans ce pays qui, au moment de notre séminaire, était plus ou moins en guerre depuis 60 ans. Cette guerre transgénérationnelle n’a pas seulement provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes, généré des millions de réfugiés et déplacés internes et détruit des infrastructures. Elle a aussi miné les institutions d’Etat et parfois les traditions qui régulaient le vivre ensemble. Alors, grande question : qu’est-ce que tu veux dire au juste par ces mots ? Que signifient-ils dans la vie concrète ? Ça se ressent comment ? Quel est le lien avec la doctrine sociale de l’Église ?
Un manuel élaboré de façon participative
Une idée nous est venue : disposer d’un manuel qui, non seulement explique les termes, mais donne aussi des méthodes pédagogiques pour travailler ensuite sur ces notions et prévoie des exercices qui permettent d’expérimenter un tant soit peu ces choses. J’ai donc commencé à élaborer une première partie sur cette inimaginable paix et je suis repartie avec, afin qu’on fasse ensemble un test pratique. En petit groupe, les participants s’appropriaient un chapitre et devaient le présenter de façon participative en plénière, enrichi d’éléments venant de leur culture, de témoignages locaux et de l’actualité. Pendant ce temps-là, je me suis mise à écrire tous ces rajouts, dans l’optique de les intégrer à la version finale. Cela m’a amenée à changer certaines méthodes proposées, à réorganiser des chapitres et même à en rajouter et à l’inculturer.
Nous sommes passés de questions individuelles en off à un premier niveau de collaboration qui était l’échange en groupe. Après l’élaboration individuelle de ma part, le groupe s’est à nouveau saisi de ce qui est devenu son projet. Cette collaboration donnera au manuel sa pertinence didactique et méthodologique. Collaborer, c’est libérer le pouvoir d’agir chez tout le monde et c’est justement le pont vers le verbe « construire ».
Construire la paix passe par la personne humaine. Seules des personnes intégralement construites – dans leur corps et leur psychisme, intellectuellement et spirituellement – sont capable de construire la paix. Le Soudan du Sud a une très belle expérience de cela : le « people to people peacebuilding », la construction de la paix d’une personne à l’autre. En 1999, à l’initiative des Églises et à un moment où toutes les négociations officielles avaient échoué, un village a été construit dans le seul but d’y mener un processus de paix et de réconciliation avec près de 2.000 délégués de villages, tribus et clans alors adverses. Cette conférence de Wunlit a apporté la paix dans la région pendant de longues années. Nous savons aussi qu’elle est toujours à refaire.
Aujourd’hui, il s’agit de collaborer avec une nouvelle génération et d’aider les jeunes à construire leur personne, afin que cette jeune génération puisse construire la paix.
Maria Biedrawa
Formée à l’intervention civile de paix et à la diaconie de paix en Allemagne,
logothérapeute, éducatrice spécialisée et formatrice,
membre du CA du réseau œcuménique européen Church and Peace
Ce témoignage est extrait du dossier d'animation pour la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2020