« En prenant, nous aussi, le chemin du train… » au Mexique

Main d'un enfant hondurien victime de sévices.

Main d’un enfant hondurien victime de sévices.

Ce que je partage ne peut se comprendre en-dehors de ce que nous avons vécu avec la population migrante centraméricaine. Vie, jeunesse, maternité, football dans les différentes « Casas del Migrante » (Maisons du Migrant) qui les accueillent, des temps forts de mort, assassinats, solitude, persécution ; et en même temps des flashs de lumière, de don de soi, de protection, de défense des droits de la personne, de la part de tous ceux qui les accompagnent, qui se sont faits compagnons de route.

En décembre 2006, le président du Mexique déclarait la « guerre au narcotrafic ». Sans que soit très clair le degré de corruption et de collusion de la classe politique, de la police et de l’armée, des dirigeants provinciaux et municipaux avec les groupes criminels. Une ambiance qui devenait bouillon de culture pour la tragédie que nous allions vivre, tant les Mexicains que le peuple migrant centraméricain qui traversait le Mexique pour rejoindre les Etats-Unis.

Avec la Pastorale de la mobilité humaine, nous avons cherché à accompagner la migration en transit, les migrants mexicains expulsés, les familles mexicaines qui restent, les centraméricains détenus dans les « stations migratoires » (centres de rétention, ndlr), davantage prisons que centres d’accueil. Sans oublier les Mexicains déjà arrivés aux Etats-Unis.

Le Nord du pays est connu pour les Maisons du Migrant car il accueille la migration mexicaine et continentale dans sa dernière étape avant les Etats-Unis, ainsi que les Mexicains expulsés des Etats-Unis. Le Sud, lui, accompagne davantage, autant la migration centraméricaine qui démarre son chemin migratoire par le train de marchandises que les expulsions et retours des dépouilles des Etats-Unis à la demande des familles.

Un train de marchandises qui traverse le Mexique

À l’origine, notre mission consistait à leur donner à manger, à proposer dans un centre d’accueil les services de base : se doucher, se reposer, reprendre des forces pour continuer la route vers leur rêve américain.

Mais nous avons entendu tant et tant de témoignages de l’injustice à laquelle nos frères migrants, ce peuple invisible, étaient confrontés – séquestrations, abus sexuels, disparitions, intimidations, menaces contre les familles restées au pays, tortures et traitements inhumains. Nous avons recueilli tant de corps massacrés que nous avons fait du chemin : notre pastorale a dû s’investir dans d’autres espaces pour impliquer, sensibiliser et responsabiliser à partir de l’action, pour transformer les lois afin que le droit à migrer soit reconnu. Le cri que nous entendions, l’impuissance que nous ressentions, étaient plus forts que notre timidité ou notre indifférence.

Des personnes de bonne volonté, des mères de famille qui se solidarisaient avec les migrants montés sur le toit de « la Bestia »1, qui allaient dans les gares pour leur donner à manger ou leur proposaient leur maison pour manger, se laver, avant de reprendre le train suivant, ont été poursuivies, emprisonnées et condamnées injustement.

En prenant, nous aussi, le chemin du train, nous avons identifié les lieux où nos frères se trouvaient à la merci des groupes criminels, là où il n’y avait pas de réponse pastorale. Et nous avons rencontré des personnes, en majorité des femmes, généreuses, désintéressées, solidaires, qui partageaient le peu qu’elles avaient en disant : « Je pense à mes enfants, mon mari, qui sont aussi partis aux Etats-Unis ».

Ces groupes vulnérables sont peu à peu devenu notre principale occupation, nous les avons invités à ne pas travailler de façon isolée, à ne pas rester seuls, car cela les rendait vulnérables à des accusations et condamnations. Un travail en réseau était nécessaire, dans le respect des croyances et de l’autonomie de chaque action, mais avec un objectif commun. En faisant corps avec les migrants et en faisant corps ensemble, toutes et tous, nous sommes devenus une barrière humaine dans ce combat de David contre Goliath. Car défendre, protéger, dénoncer les crimes subis par les migrants aux mains des groupes criminels, c’était cela, nous opposer à des hommes dotés d’armes de gros calibre, soutenus par de nombreux fonctionnaires et donc assurés de l’impunité.

Sœur Letty Gutiérrez, mscs

Ancienne responsable nationale de la Pastorale de la mobilité humaine du Mexique

1« La Bestia » (la Bête), nom du train de marchandises emprunté par les migrants, auquel Arte consacre un documentaire, Mexique : « La Bestia », en replay jusqu’au 9/11/2021.
Ce témoignage est extrait du dossier d'animation pour la Journée Mondiale du migrant et du réfugié 2020

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