Comment l’Enseignement catholique enseigne-t-il le fait migratoire ?
A 32 ans, Noémie Paté est Maître de conférence à l’Institut catholique de Paris (ICP). Sa thèse de sociologie, soutenue en 2018 à Nanterre, portait sur l’accès au droit des mineurs non accompagnés (MNA). En janvier 2021, elle lancera un nouveau diplôme universitaire : « Action sociale et migrations ». En faisant dialoguer recherche académique et pratique professionnelle, elle espère participer à (re)mettre l’hospitalité au cœur de notre société.
Quelle est votre expérience en lien avec la migration ?
Dans le cadre de ma thèse, j’ai travaillé pour l’association France Terre d’Asile (FTDA) pendant un an. J’ai ensuite poursuivi sur le terrain pendant une autre année, un peu à Lille et en région parisienne principalement. Mon objectif était d’obtenir des données concernant la procédure d’évaluation de la minorité des MNA qui va leur permettre, ou non, d’être protégés par l’Etat. Pendant ma thèse, j’étais chargée d’enseignement à l’ICP. Puis la Faculté de Sciences sociales et économiques (FASSE) m’a recrutée en sociologie, sur un poste spécialisé sur les questions migratoires.
Quelles sont vos responsabilités à l’ICP ?
On m’a confié la direction du Master « Solidarité et action internationales » qui s’insère dans une filière plus large sur les enjeux de la solidarité. Je travaille à sa réforme avec une collègue spécialiste de l’économie solidaire, Elena Lasida, en ajoutant la dimension écologique. Dans cette filière, j’enseigne en M1 les enjeux migratoires à l’échelle nationale et internationale. En M2, j’aborde le racisme et les enjeux inter-ethniques, notamment dans le secteur de l’humanitaire. La sociologie du racisme est un courant de pensée qui est apparu en France dans la continuité de la sociologie de l’immigration. Cet axe d’enseignement est nouveau à l’ICP. Je l’adapte particulièrement au secteur de la solidarité, en France et à l’international.
En quoi consiste votre projet de nouveau diplôme universitaire ?
Avec le soutien de mon Doyen et du Recteur de l’ICP, je travaille sur le diplôme « Action sociale et migrations » qui démarrera en janvier 2021. Grâce à ce DU, l’ICP se positionne sur les enjeux de l’accueil des migrants en proposant une formation qui vienne croiser l’expertise développée par des spécialistes sur les phénomènes migratoires à différentes échelles et la participation d’acteurs professionnels spécialistes des problématiques auxquelles sont confrontés les migrants. L’idée est d’instaurer un dialogue entre recherche académique et pratique professionnelle sur les enjeux de l’hospitalité à l’égard des populations migrantes, pour créer du lien entre les conclusions des études migratoires d’une part, et ce qui se dit sur la scène médiatico-politique ou se fait sur le terrain d’autre part. Aujourd’hui l’écart entre les deux est souvent important. Je porte vraiment le désir de créer des ponts. Cette recherche de cohérence est nécessaire pour sortir de la gestion de l’urgence.
Cette formation peut-elle aider à sortir de l’urgence justement ?
Les situations d’urgence sont complexes et demandent une réaction rapide. Je pense néanmoins qu’il est nécessaire de proposer une réflexion plus structurante : quel type de société souhaitons-nous élaborer ensemble ? Comment mettre l’hospitalité au cœur de cette société ? L’appel du Pape à former les chrétiens a résonné très fortement ces derniers temps. Je suis persuadée que la formation peut engager une réflexion sur le long terme et de façon plus structurante sur les enjeux de l’accueil. J’ai d’ailleurs conclu ma thèse sur le fait que l’accès à la protection des mineurs migrants est annexée à la question plus générale du traitement de l’étranger, de la perception de l’étranger et au fond, de la place de « l’Autre » dans notre société. Nous sommes invités à reconnaître la nécessité d’une conversion sociétale, avec pour objectif essentiel la mise en place d’alternatives aux politiques de repli et d’inhospitalité.
En quoi l’Institut Catholique de Paris promeut-il le développement humain intégral ?
Nous nous inscrivons dans la lignée de Laudato Si’, dans cette conception de l’Homme dans sa globalité. C’est vraiment ce qui sous-tend ce que nous faisons avec Elena Lasida : remettre la solidarité au cœur des enseignements de l’ICP. Nous considérons en effet que ce secteur est aujourd’hui essentiel et majeur pour notre société mais aussi novateur en terme de pratiques professionnelles. Ces enjeux de solidarité doivent être traités de façon pluridisciplinaire et transversale. Il faut créer du lien entre les approches économiques, sociologiques, politiques… On ajoute la dimension environnementale mais les enjeux écologiques ne se réduisent pas au rapport à la nature. Il s’agit aussi du rapport à l’Autre, à celui qui est différent – au migrant notamment – mais aussi aux plus précaires, jusqu’aux périphéries. Cette année, nous avons fait notre rentrée au « Campus de la transition ». L’éco-lieu, porté par Sr Cécile Renouard, économiste, s’inscrit dans la logique d’écologie intégrale et dispense des formations aux structures académiques.
Comment vos étudiants appréhendent-ils les enjeux migratoires ?
Cette génération a intériorisé le fait qu’il existe deux enjeux sur lesquels il va falloir réfléchir et s’engager, d’une manière ou d’une autre : le changement climatique et les populations migrantes. Ce qui est intéressant de faire avec eux, c’est d’abord déconstruire des idées préconçues sur les migrations, pour s’appuyer sur des données empiriques solides, des réalités sociales avérées et étudiées. Beaucoup de fantasmes et d’illusions ont été développés et alimentés sur les phénomènes migratoires… Je perçois chez eux une aspiration en ce sens. Ensuite, il s’agit de sortir d’un point de vue euro-centré. Les migrations sont souvent présentées comme étant un phénomène européen, qui concernerait principalement l’Europe. En sortant de ce point de vue euro-centré, on réalise que les mouvements migratoires sont beaucoup plus larges et que ce qui concerne l’Europe n’en est qu’une petite partie. On peut évoquer, par exemple, les migrations environnementales qui impactent très largement les pays du Sud. Du coup, les étudiants font évoluer leurs représentations, ce qui permet de remettre le contexte français dans un paysage beaucoup plus global et de comprendre la migration comme un produit de la mondialisation.
Il y a deux façons de voir l’engagement auprès des populations migrantes : en répondant à une réalité sociale urgente sur le terrain et sur le long terme, en formant des personnes qui auront un impact concret. C’est aussi une manière de s’engager pour une société plus juste.
Quels fruits pastoraux en faveur des migrants l’Eglise peut-elle tirer (Orientations 14) ?
L’Eglise s’engage de plus en plus en faveur des migrants. Comme tout lieu de mobilisation citoyenne, il existe une nécessité de se former. Cette formation peut intéresser les personnes qui s’engagent au nom de leur foi auprès de ces populations. L’idée est de conclure – en décembre 2021 – sur la notion d’hospitalité comme réponse politique mais aussi comme réponse spirituelle. On l’a vu autour de 2015-2016, les interventions sur les campements urbains, par exemple, étaient pleines de bonne volonté mais n’ont pas toujours arrangé la situation. Il faut penser ses pratiques. L’action auprès des populations migrantes ne s’improvise pas !
Et à l’étranger, comment l’université catholique appréhende-t-elle les questions migratoires ?
Avec cette formation pionnière – elle n’existe pas sous cette forme ailleurs – l’objectif est de s’insérer dans une réflexion plus globale, à l’échelle de l’Enseignement catholique. Nous sommes notamment en lien avec une université catholique en Argentine dont le projet « Uniservitate » promeut « l’apprentissage par l’engagement solidaire ». Le « Service-Learning » pourrait devenir un marqueur fort de l’identité de l’enseignement supérieur catholique dans le monde. Nous réfléchissons donc à comment mettre l’engagement solidaire au cœur de l’expérience étudiante. La formation intégrale de l’étudiant est d’ailleurs l’un des axes du plan stratégique de l’ICP Universitas 2025.
Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)
Les Personnes Déplacées Internes, focus de la JMMR 2020
« Les mouvements migratoires concernent le monde entier mais ils sont de plus en plus régionalisés, avec des migrations Sud/Sud, au sein de l’Asie du Sud-Est ou sur le continent Afrique », précise l’universitaire. Elle aborde la question des PDI en lien avec les migrations environnementales car « elles seront amenées à se développer énormément dans les années qui viennent ».
On estime à 200 millions le nombre de réfugiés climatiques en 2050 alors qu’ils étaient 42 millions en 2014. « Certains considèrent que ces chiffres sont sous-estimés. Les réfugiés climatiques sont les migrants du XXIème siècle » conclut-elle. Dans les Orientations pastorales sur les déplacés internes, la Section Migrant et Réfugié du Saint-Siège annonce prochainement la publication d’orientations pastorales sur les migrants climatiques.