Israël est un « Pays Monde » pour Marie-Armelle Beaulieu

Marie-Armelle BeaulieuLa rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine, publication centenaire des Franciscains, vit en Israël depuis plus de vingt ans. Elle est tombée amoureuse de la Ville Sainte et de ce « Pays Monde » qui n’est pas seulement « une terre du passé » mais aussi celle de la Résurrection.

Les Hébreux ont vécu l’Exode puis l’exil. Comment cette expérience est-elle présente dans la mentalité juive aujourd’hui ?

C’est précisément le fait que le peuple juif ait toujours été balloté d’un endroit à l’autre et n’ait jamais vraiment intégré les sociétés dans lesquelles il vivait qui a fait naître l’idée d’un « foyer juif » chez Théodore Herzl, fondateur du sionisme au XIXe siècle. Il fallait que le peuple juif trouve un chez soi. Après quelques hésitations, les fondateurs du sionisme politique ont décidé que le plus logique était de le fonder dans la Palestine mandataire et c’est finalement sous cette impulsion qu’a été créé l’Etat d’Israël en 1948.

Aujourd’hui, on peut dire que tous les Juifs sont attentifs – où qu’ils vivent dans le monde –  à ce que l’expérience de rejet ne se renouvelle pas, ou du moins, ne puisse trouver aucune justification acceptable par quiconque. Pour les Juifs qui vivent en Israël, il existe deux courants forts et opposés. Ceux qui estiment avoir « retrouvé » leur terre ne veulent la partager avec personne et sont prêts à faire vivre l’exil à d’autres, en l’occurrence les Palestiniens, pour défendre « leur propriété ».

Et ceux qui vivent le souvenir de l’exil comme une cicatrice fragile, une blessure qu’ils ne veulent pas infliger aux autres se remémorent les nombreuses paroles dans la bible qui invitent le peuple juif à aimer l’étranger, « car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte » (Dt 10, 19). Paradoxalement, ce sont les prétendus moins religieux qui se souviennent le plus des injonctions bibliques (et divines) dans ce domaine.

Les réfugiés palestiniens dans les camps sont plutôt des « déplacés internes »…

En effet, ces Palestiniens, comme ceux de Jérusalem où ils sont présents aussi, sont réfugiés chez eux. Ce sont des personnes que la guerre de conquête par les Juifs d’un territoire sur lequel établir l’Etat d’Israël a déplacées dans les années 1947-48.

Depuis 1949, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, plus connu sous son acronyme anglais UNRWA, est présent à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem mais aussi au Liban, en Syrie et en Jordanie, où les populations palestiniennes ont été déplacées hors frontières. En page d’ouverture de son site internet, l’UNRWA annonce en gros caractères un chiffre : « Nous apportons assistance à 5,6 millions de réfugiés ». Or ce nombre ne cesse d’augmenter car c’est la seule ONG qui octroie le statut de réfugiés aux descendants des réfugiés palestiniens des guerres israélo-arabes.

Du coup, l’UNRWA est aussi la plus grande agence des Nations Unies, qui emploie le plus de monde, qui a besoin du plus gros budget, etc. Avec le désengagement financier américain des Nations Unies, sa situation est catastrophique et avec elle, celle des réfugiés qu’elle soutient.

Quel est le visage de la communauté chrétienne en Terre Sainte ?

Israël et Palestine réunies représentent environ 14 millions d’habitants, soit 7 millions de juifs et autant de musulmans. Dans l’arrondi, les chrétiens ont disparu. Les chrétiens locaux représentent 1,2 % de la population totale, soit environ 180 000 chrétiens palestiniens. 130 000 vivent en Israël et sont citoyens israéliens, 40 000 vivent en Cisjordanie, 10 000 à Jérusalem, et 1 000 à Gaza (au milieu de près de 2 millions de musulmans).

C’est une mosaïque de confessions chrétiennes, la plupart orientales (Grecs orthodoxes et catholiques, Arméniens orthodoxes et catholiques, Syriaques orthodoxes et catholiques, Maronites qui sont catholiques comme les Chaldéens, Ethiopiens et Coptes) et Protestants et catholiques romains, dits latins.

La situation des chrétiens d’expression arabe en Israël est bonne. La situation des chrétiens en Palestine est difficile. La pression politique pèse de tout son poids en l’absence d’un règlement juste et équitable entre Israël et la Palestine. La communauté chrétienne est la plus fragile parce qu’elle est la minorité. Dans tous les conflits, les minorités trinquent les premières. On l’a vu en Syrie avec les Yézidis. Par ailleurs, le haut niveau d’éducation de la communauté chrétienne palestinienne l’incite (et la prépare) davantage à penser à migrer. Enfin, ces dernières années, elle a été directement victime d’annexion de ses territoires par Israël et a perdu avec ses terres ce qui lui restait d’espoir.

Mais dans la communauté chrétienne d’Israël, il faut aussi compter les migrants chrétiens. C’est pour eux que se déploie aujourd’hui la Pastorale des migrants du diocèse catholique romain, qu’on appelle le Patriarcat latin de Jérusalem. Ils sont près de 160 000 travailleurs étrangers : 80 000 Philippins, Indiens du Kerala, issus de divers pays d’Afrique dont un certain nombre d’Erythréens. La moitié est en situation illégale.

La mobilité humaine fait partie de l’identité de cette terre !

Même si ce pays a la superficie de la Bretagne, Israël est un « Pays Monde ». Cette terre abrite des juifs du monde entier et depuis toujours, des Palestiniens. Ces derniers ont tous des membres de leur famille qui ont émigré à l’étranger : ils sont riches de toutes ces cultures. Par ailleurs, la construction de la « barrière de sécurité » le long des territoires où vivent les Palestiniens, pour se protéger des attentats, est à l’origine d’un phénomène migratoire, depuis quinze ans.

Le mur a freiné le brassage des populations et empêché des centaines de milliers de Palestiniens qui vivaient dans l’Etat hébreu de continuer à y travailler. S’étant privé de main d’œuvre, Israël organise l’entrée de travailleurs étrangers et le roulement de ces populations de façon à ce les non-juifs ne se fixent pas dans le pays. Les visas de travail ne sont valables que 5 ans. Mais l’Etat hébreu est dépassé par le nombre des travailleurs illégaux, entrés légalement ou pas dans le pays, et autour desquels se crispe une partie de la société. Les migrants illégaux originaires d’Afrique sont arrivés en traversant le désert du Sinaï. Israël a donc construit un mur électrifié sur sa frontière avec l’Egypte. Les conflits avec les pays voisins et la persistance de l’antisémitisme dans le monde font qu’Israël continue de se claquemurer.

Comment la pandémie de Covid-19 affecte-t-elle les étrangers ?

La crise du coronavirus, qui a fait grimper le taux de chômage de 3,8 % en février 2020 à 25,8 % en septembre, pèse sur les travailleurs étrangers. En perdant leur emploi, ils ne peuvent faire valoir aucun droit et sans revenu, ils se font expulser de leur logement et finissent à la rue. Heureusement, des organisations leur apportent de l’aide. Selon l’ASSAF (Organisation d’aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile en Israël), 50% d’entre eux auraient déjà perdu leur travail.

La Pastorale des migrants a des moyens très réduits. Le diocèse est lui aussi en péril financier grave, suite à l’arrêt total des pèlerinages. Par tradition, de très nombreux chrétiens palestiniens sont investis dans le tourisme et l’industrie des pèlerinages. Or il n’y a plus la moindre entrée touristique depuis le 4 mars dernier. Avec le deuxième confinement (18 septembre- 9 octobre), la situation va continuer d’empirer pour tout le monde. Il va falloir être inventif dans la solidarité !

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

Cet article est la version longue des "3 questions à" du Courrier de la pastorale des migrants (n°141 - Octobre 2020) intitulé "Sur la route des déplacés internes".

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« Regarder ce pays en l’aimant pour le faire aimer », c’est la ligne éditoriale suivie par la rédactrice en chef. A travers des articles bibliques, archéologiques, politiques, etc., il s’agit de « montrer le bouillonnement de vie » sur cette terre porteuse d’un message de Salut pour le monde. « Si un jour la paix est possible ici, elle sera possible partout » veut croire la Française.

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