La mission aux frontières : Lesbos – Athènes

Lesbos, île grecque où se trouve le camp de Moria, où le P. Maurice Joyeux, SJ, a été filmé pour le documentaire « Moria. Par-delà l’enfer » pendant le confinement du printemps, dialogue avec la CCF d’Athènes dont le jésuite a été l’aumônier.

Laurence_Monroe_portraitLaurence Monroe, réalisatrice et membre de la Communauté de Vie Chrétienne (CVX), connaît bien le Père Maurice Joyeux, SJ, qui a accueilli le pape François à Lesbos, le 16 avril 2016. Quand en mars 2020, le jésuite appelle à évacuer le camp de Moria, sur cette même île grecque où il est confiné avec les réfugiés, elle décide de s’associer à son plaidoyer en réalisant « Moria. Par-delà l’enfer ». Ce film spirituel, sur ce que vivre signifie, a été diffusé lundi 14 décembre 2020 à 20h35 sur KTO.

Moria, angle mort dans la lutte contre la pandémie

En mars 2020, le Père Maurice Joyeux, SJ, choisit d’aller vivre le confinement à Moria (Grèce), déserté par la plupart des ONG et des bénévoles. « Il se rend dans ce camp surpeuplé pour dire aux migrants que quelqu’un ne les oublie pas », témoigne Laurence Monroe. Le Jésuite, qui tient régulièrement son réseau informé, ne tarde pas à lancer un appel au secours : « Il faut absolument évacuer ce camp : c’est une bombe sanitaire ». L’Europe aurait oublié les réfugiés parqués dans ses Hotspots ? Comment les aider à survivre dans cette « concentration de saleté et d’insécurité » ? « La violence existe dans le camp mais elle s’exerce aussi sur lui. Le climat politique était devenu très délétère » se souvient la réalisatrice.

« Ma préoccupation première était que ces personnes ne tombent pas dans l’oubli » raconte-t-elle. A Moria, son ami prêtre travaille avec un réfugié qui possède une caméra et qui fait bénévolement l’interprète à la clinique du camp. Elle se rapproche de ce jeune journaliste afghan, Mortaza Behboudi. Pâques, qu’on fêtera le 12 avril, approche. C’est encore la Semaine Sainte. Laurence décide donc de soutenir ce qui est en germe : « Il faut oser croire aux forces de la Résurrection, montrer que des puissances de vie sont possibles ».

Comment vit-on dans un lieu de non-droit ?

C’est que ce raconte « Par-delà l’enfer ». « La vie est un processus fragile à nourrir et entretenir. Cela commence par reconnaître, voir, écouter, guetter ce qui est du côté de la vie, surtout quand on est dans un environnement de mort ». Elle qualifie volontiers ce à quoi elle assiste de de « kénose », « une descente en enfer », en lien avec le Vendredi Saint. « Nous attendions la Pentecôte comme un feu de force ». Le feu couve, qui s’embrasera plus tard.

Car les autorités grecques imposent le confinement dans le camp, bien plus longtemps qu’au reste de la population. « La crise sanitaire sert de prétexte pour maintenir un enfermement de force dans ce bidonville-prison » dénonce-t-elle. Le documentaire pointe en creux l’absence de l’Etat de droit et montre en clair des conditions de vie « indignes de l’Europe ». Avec cette « non-politique », Laurence estime que l’Europe « nie ses propres valeurs ».

Reporté de 15 jours en 15 jours, le déconfinement aura été attendu tout l’été, sous une chaleur intense et sans accès à l’eau. Le 8 septembre 2020, Moria brûle ! Tentes, containeurs et champs d’oliviers alentour partent en fumée. Les 12.000 exilés sont sous le choc. Le Père Joyeux, SJ, avait participé à la création de deux écoles qui n’ont pas été épargnées. Mortaza Behboudi revient faire des images. Le camp a brûlé au moment où les premiers cas de Covid-19 ont été dépistés. Qui a mis le feu ? « Il y a régulièrement des incendies dans ce camp qui ne respecte aucune norme, avec des petits braseros partout et des installations électriques bricolées… » explique la réalisatrice.

L’attente et l’espérance 

Diffuser un documentaire sur Moria pendant l’Avent a du sens pour la réalisatrice qui a voulu faire « un film de foi », celle de son ami prêtre jésuite et celle des réfugiés. Mais c’est aussi un film inspirant, « qui aide à regarder le beau, le bon, le bien ». « On ne leur dit rien : les personnes ne savent pas dans quel pays ils iront ou s’ils seront renvoyés. L’incertitude est immense ! » Comment soutenir l’espérance dans un lieu qui porte à la désespérance, où l’attente se compte en années ? C’est encore ce qu’elle a voulu montrer en suivant le Père Joyeux. Elle le cite, s’adressant à des familles africaines : « L’espérance est quelque chose qui se cultive et se cultive de manière communautaire, pas tout seul ».

Claire Rocher (SNMM)

Rediffusions mardi 15 décembre à 23h16, jeudi 17 décembre à 14h06, vendredi 18 décembre à 13h11 et samedi 19 décembre à 16h07.

Visionner le documentaire en streaming sur YouTube.

Les gens qui s’en sortent moralement sont ceux qui s’occupent des autres. Nos personnages se tournent vers les autres, assure Laurence Monroe. Nous sommes invités à traverser l’épreuve et à voir déjà « par-delà l’enfer ».

Bénédicte Fleury est membre de la CCF d’Athènes (Grèce) et écrivain, sous le nom de Bénédicte F. Parry.

Bénédicte Fleury est membre de la CCF d’Athènes (Grèce) et écrivain, sous le nom de Bénédicte F. Parry.

Bénédicte Fleury, membre de la Communauté Catholique Francophone d’Athènes (Grèce), est engagée en catéchèse et au JRS (Service Jésuite des Réfugiés). Ecrivain, elle publie sous le nom de Bénédicte F. Parry.

Lesbos, la honte de l’Europe. C’est le titre du livre publié au mois de janvier 2020 par Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme pour les Nations Unies.

Ce qui se passe aux frontières de l’Europe n’est plus un secret pour personne. Des titres similaires font régulièrement la une de nos journaux depuis 2015. Si j’en crois l’interview de Laurence Monroe, son film vient ajouter encore un peu plus de concret, un peu plus d’urgence à ce constat, et c’est un témoignage nécessaire. Mais il vient apporter quelque chose de plus, quelque chose d’indispensable : l’espoir.

Accepter de regarder en face la façon dont l’Europe du XXIe siècle traite les migrants qui frappent à sa porte, c’est se confronter à un immense sentiment d’impuissance, et à la honte. « Que pourrais-je bien faire, moi ? » torture nos esprits avec son corollaire « Qui suis-je, si je ne fais rien ? » Exactement comme pour le changement climatique, ces deux questions nous écrasent et provoquent l’inaction, qui entraîne à son tour honte et sentiment d’impuissance.

Pour briser le cercle infernal et entrer dans l’action, chacun de nous a besoin d’un moteur puissant, celui de l’espoir. Dans le domaine du changement climatique, le film « Demain » (2015) de Cyril Dion et Mélanie Laurent donne à voir des initiatives porteuses de sens et d’espoir. Ce film a poussé des milliers de personnes à entrer dans l’action. Dans le domaine de la migration, Laurence Monroe a cherché, avec le Père Maurice Joyeux, SJ, et le journaliste afghan Mortaza Behboudi, à trouver au sein du camp de Moria « les forces de Résurrection », « les puissances de vie ». Souhaitons que son film devienne à son tour source d’inspiration.

La Communauté catholique d’Athènes connaît bien le Père Maurice Joyeux, SJ, son ancien aumônier, qui a fondé la branche athénienne du Service Jésuite des Réfugiés (JRS) en 2015 et entraîné de nombreux paroissiens avec lui dans l’aide aux migrants. Aujourd’hui la dynamique de la communauté a changé. Le nombre de paroissiens en situation d’expatriation professionnelle s’est réduit comme une peau de chagrin, tandis que la communauté s’est enrichie d’un contingent toujours plus important de paroissiens migrants, demandeurs d’asile et réfugiés, principalement en provenance d’Afrique subsaharienne, dont beaucoup sont passés par les camps de Lesbos ou de Samos.

Depuis deux ans, les catholiques francophones d’Athènes sont répartis sur deux paroisses. Pour des raisons principalement géographiques, la paroisse historique St-Jean-Baptiste de Psychico, est surtout fréquentée par les expatriés et les binationaux, tandis que la paroisse de Ste-Thérèse de Kipseli est devenue un lieu de rassemblement des migrants et demandeurs d’asile francophones – principalement congolais et camerounais. Le Père Pierre Salembier, SJ, assure la liaison entre les deux.

Je fais partie de ceux qui fréquentent la paroisse historique. Arrivée il y a deux ans avec ma famille, je me suis engagée dans la catéchèse et au JRS. J’ai également choisi de faire de la migration le thème central de mon prochain roman, qui se déroule à Athènes.

Mais lors du premier confinement, comme beaucoup, mon réflexe face à l’ampleur du choc a été un repli sur ma famille. J’ai cessé d’aller au JRS où j’animais des ateliers. Ateliers et cours étaient d’ailleurs interdits. Même les jeunes volontaires ont dû rentrer prématurément chez eux. Les messes et le catéchisme se sont arrêtés. Chacun a fait ce qu’il pouvait. Notre communauté s’est mise en sommeil.

Dans ces moments difficiles pour tous, mais plus encore pour ceux qui vivent dans des conditions matérielles et psychologiques indignes, l’initiative du Père Joyeux, qui s’est rendu à Lesbos « pour dire aux migrants que quelqu’un ne les oublie pas », me semble être l’un de ces actes pleins de sens et porteurs d’espoir susceptibles de nous inspirer. Bien sûr, nous n’avons pas tous vocation à aller partager le sort des plus démunis. Mais un pas vers l’autre, même petit, est toujours une lumière qui s’allume. Pas seulement pour l’autre. Pour nous aussi. Comme le dit Laurence Monroe : « Les gens qui s’en sortent moralement sont ceux qui s’occupent des autres ». Si c’est vrai à Moria, c’est vrai pour nous aussi.

En cette fin d’année, où nous sommes de nouveau confinés, aucun d’entre nous n’a eu envie de vivre cette nouvelle épreuve comme nous l’avons fait la première fois. « L’espérance est quelque chose qui se cultive de manière communautaire, pas tout seul », dit le Père Joyeux dans le film. Pour ce deuxième confinement, notre CCF d’Athènes a décidé de jouer la carte du « ensemble, malgré tout ».

C’est ainsi que nous avons mis en place une messe virtuelle, célébrée par le Père Pierre Salembier, SJ, et animée par des volontaires du JRS sur leur lieu de confinement. Cette messe est diffusée en ligne chaque dimanche et suivie par les membres de nos deux paroisses, par d’anciens membres de la communauté, et même par nos familles éparpillées dans le monde. Elle est un lien vivant et un soutien pour les membres de notre communauté.

Nous avons aussi commencé le catéchisme en version virtuelle, afin de proposer aux enfants un espace de joie, de partage et d’espoir au milieu de leur quotidien confiné.

Bénédicte Fleury, CCF d’Athènes (Grèce)

En ce temps de l’Avent, laissons-nous porter par l’espoir et mettons-nous en action. Pour eux, pour nous.

Sur le même thème