« Saint Antoine-Marie Claret » de Pablo Moreno (2020)
Le Père Carlos Tobes, cmf, est l’aumônier national des Espagnols et des Hispanophones en France. Lui-même Missionnaire clarétain, il a vu le film de Pablo Moreno sur Saint Antoine-Marie Claret (1807-1870), fondateur de sa congrégation religieuse. L’Espagnol, qui dut s’exiler en France, a été béatifié par Pie XI le 25 février 1934 et canonisé par Pie XII le 7 mai 1950. Le film est disponible en DVD et en VOD sur la plateforme lefilmchretien.fr à partir du 15 juin.
Ce qui m’a touché, ce que je retiens du film
Le rêve de nombreux Clarétains s’est réalisé : un film sur notre fondateur, cet immense évangélisateur du 19e siècle. Je suppose que cela représente un grand investissement économique, mais nous y sommes arrivés : que l’on tourne un film sur le père Claret. Je suis impressionné par le travail et le résultat, ainsi que par la simplicité de l’œuvre.
Il fait état du Claret calomnié, détesté et donc persécuté. Nous connaissons très bien Claret par son autobiographie et par son abondante correspondance. Ces sources littéraires ont été prises en compte par le réalisateur, rendant ainsi le personnage de Claret plus contemporain.
J’ai été ému par le Claret évangélisateur et missionnaire, engagé dans la réalité sociale de son époque, surtout à Cuba, mais aussi à Madrid.
Claret et la reine : deux prisonniers. Éloigné de Cuba par les puissants, Claret est envoyé comme en prison à Madrid, lorsqu’il est nommé confesseur de la reine (d’Espagne Isabelle II, ndlr). Celle-ci, en quelque sorte prisonnière aussi à la Cour, a été traitée par son pasteur avec une réelle humanité. Leur prière à tous deux devant le tabernacle me parle aussi du « divin prisonnier ».
Le film fait honneur à la vérité sur le père Claret. Une évidence, mais ce n’était pas si facile. Le réalisateur le présente bien par les va-et-vient entre deux époques, la vie du père Claret (19e siècle) et la guerre civile espagnole (20e siècle), avec les dialogues entre les écrivains Pio Baroja et Azorín.
Ce que j’ai pu creuser spirituellement grâce à lui
Claret ne se laisse décourager par rien pour entreprendre de nouvelles tâches et se donner entièrement jusqu’à la fin. Nous le voyons, jeune homme, dans les ateliers textiles de Sallent et Barcelone. C’était un grand professionnel, très au fait du monde de la mode, du design et de l’art de fabriquer n’importe quel tissu. Cette ambition dans le monde du textile, il la conserve après sa conversion, pour porter le Christ aux autres. Spirituellement, cela m’encourage à relire la définition de « missionnaire » que nous avons héritée de Claret. Le film me pousse encore plus à aborder les tâches apostoliques qui me sont confiées avec plus de courage, avec beaucoup de charité, en embrassant les sacrifices et les misères de tous les êtres humains de notre société. Sur le plan spirituel, le film me pousse à m’engager davantage en tant que Clarétain dans le monde des pauvres et des marginaux, en leur apportant la bonne nouvelle de l’Évangile et, ce, avec une joie évangélique à laquelle nous n’étions pas tellement habitués. Dans le film, le père Claret apparaît parfois aussi agréable que blagueur et plein d’humour.
Le Claret des “nuits obscures” sans abandonner jamais la prière. Le passage de la liberté à Cuba, comme bon pasteur donné à ses fidèles, à la « prison » lorsqu’il est nommé confesseur de la reine Isabelle II, aurait pu provoquer une dépression chez n’importe qui. Si l’on y ajoute les calomnies, les moqueries dans certains livres, dans les journaux, dans des bandes dessinées, et même sur des boîtes d’allumettes… la prison devenait un grand cachot, sans lumière et sans vie. Si l’on ajoute à cela le fait que Claret a dû être l’épaule sur laquelle pleurait une reine à la vie affective peu équilibrée et que de nombreux politiciens, écrivains et citoyens voulaient lyncher… Claret a traversé cette crise existentielle sans jamais se détourner de la prière, conseillant et accompagnant la reine de son mieux, sans jeter l’éponge, même si l’envie ne lui manquait pas. Comme missionnaire, pour ma vie spirituelle, ce film m’aide à savoir comment faire face aux échecs et aux revers de la vie, sans jamais perdre de vue l’horizon, qui est la suite du Christ.
Tout au long du film, le réalisateur semble négliger un pilier essentiel de la congrégation clarétaine : la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Mais je crois que la scène de la mort dans les bras de Carme/la Vierge est un moment sublime, rempli de symbolisme marial et de la plus grande importance. La scène évoque la célèbre sculpture de Michel-Ange (La Pietà). Dans le film, le jeune Christ descendu de la croix est remplacé par un Claret en pleine maturité. Et Carme/la Vierge est le temple dans lequel reposent à la fois le Christ et Claret.
Ce que je comprends du message de Saint Antoine-Marie Claret pour nous aujourd’hui
L’œuvre de Claret s’est répandue sur tous les continents. Nous sommes nombreux à nous identifier à Claret, à commencer par la grande famille clarétaine puis les paroisses, les écoles, les missions, les universités. Aux Canaries et à Cuba, la sympathie envers le P. Claret est encore présente.
Il n’est pas facile de raconter une histoire selon les codes cinématographiques actuels. On peut tomber dans le moralisme, la sensiblerie, les stéréotypes ou l’extravagance. L’histoire de Claret est en elle-même grandiose et attirante, mais il faut savoir la raconter. En Espagne, ce n’est pas si simple. Les réalisateurs experts dans ce type de films ne sont pas nombreux. Quant aux producteurs, ils ne veulent pas prendre de risques avec des films « religieux » ou « spirituels ».
Le film n’est pas un documentaire mais une reconstitution artistique. On pourrait dire que plutôt que de nous raconter en détail la vie du Claret historique (comme certains l’avaient peut-être espéré), il suggère un Claret contemporain. Ni l’apparence physique de l’acteur qui incarne l’archevêque missionnaire, ni l’environnement des lieux où il a vécu (à commencer par sa Catalogne natale) ne sont une reproduction exacte de l’original. En ce sens, le film est une œuvre qui suggère, qui invite le spectateur à se confronter au personnage, à l’inviter chez lui pour échanger et clarifier les questions suscitées par le film.
Si le film sert à provoquer la curiosité, éclaircir des malentendus et éclairer le présent, je crois qu’il aura largement atteint ses objectifs. Le fait qu’il s’agisse d’un Claret « contemporain » est évidemment risqué, mais il transforme le personnage en un symbole puissant qui peut nous aider à vivre le moment présent.
P. Carlos Tobes, cmf, Aumônier national des Espagnols et des Hispanophones en France
Traduit de l’espagnol par Annie Josse (SNMM)