« L’Homme de Dieu » de Yelena Popovic (2021)

Yelena Popovic, réalisatrice serbo-américaine, présente (en anglais) son « biopic » sur le saint orthodoxe Nektarios d’Égine (1846-1920), du nom de l’île grecque où il fonda le monastère de la Sainte-Trinité et où il repose.

Quelle est votre histoire personnelle avec ce saint ?

J’ai été pour la première fois à Égine en 2013, un an après avoir lu la biographie de saint Nektarios. Cela m’a beaucoup touchée et j’ai voulu essayer d’en faire un film. Avant d’écrire un scénario, il faut en rédiger les grandes lignes et définir quel portrait on a envie de brosser, quel genre de film on veut faire. J’ai posé ces deux pages de présentation sur sa tombe. Je lui ai demandé si c’était la volonté de Dieu que je réalise ce long métrage. C’était un gros projet. Je voulais faire un film pour la gloire de Dieu et pour la rédemption de l’Homme.

Un an plus tard, en 2014, je suis retournée à Égine avec un scénario d’une centaine de pages. J’ai fait la même chose. En le posant sur sa tombe, je lui ai demandé à nouveau son aide pour que le projet avance, pour voir clairement le message que je devais faire passer dans son histoire, ce qui était important.

Quand j’habitais aux Etats-Unis, j’allais souvent dans un monastère orthodoxe consacré à saint Antoine le Grand. En 2015, pour ce projet de film sur saint Nektarios, j’ai ressenti le besoin de recevoir une bénédiction. J’en ai parlé – c’était la toute première fois – à un prêtre. En réalité, l’église était consacrée aux deux saints mais malgré quinze ans de fréquentation, je ne le savais pas. Drôle de coïncidence, non ? J’ai reçu la bénédiction. La seule chose qui m’a été demandée était de choisir un acteur croyant pour jouer le rôle principal. On m’a dit aussi que si c’était la volonté de Dieu, ce film se ferait. Cette bénédiction m’a aidée à surmonter un certain nombre de difficultés !

Fin 2015, pour des raisons familiales, nous nous sommes installés en Europe. J’avais très envie de ce changement mais cela s’est révélé être assez difficile pour tout le monde. En juin 2016, j’étais en Grèce. Je me demandais si je devais rentrer à Los Angeles où j’avais vécu dix-huit ans et où on comprend très bien à quel point il est compliqué de réunir des fonds pour faire un film, qui plus est, à connotation religieuse. C’est un vrai défi ! Pourtant, petit à petit, tout s’est mis en place.

Nous avons sollicité des fonds grecs pour une co-production Grèce/Croatie/Serbie mais cela n’a pas abouti. Le gouvernement grec n’a pas souhaité s’engager sur un thème religieux. Les moines du Mont Athos, qui avaient eu connaissance de mon projet, m’ont contactée. Je les ai donc rencontrés. Ce sont eux qui ont trouvé les investisseurs privés. C’est pourquoi je crois que saint Nektarios et la Vierge Marie ont été mes guides sur ce chemin. Par moi-même, je n’en aurais pas été capable !

Une fois les fonds réunis, comment la pandémie a-t-elle impactée le tournage ?

J’ai rencontré l’acteur principal, Aris Servetalis. Complètement athée, il s’était converti au christianisme. Il était totalement impliqué. Pour moi, il était très important de choisir des acteurs crédibles dans leur rôle. Nous devions démarrer le tournage en mars 2020… mais la pandémie de Covid-19 a tout arrêté. Que pouvait-il bien se passer encore ? La production a été décalée à début juin. Nous avons tourné pendant sept semaines mais pas consécutives car certains acteurs étrangers – Mickey Rourke des Etats-Unis ou Alexander Petrov depuis la Russie– ont dû prendre plusieurs avions pour aller en Grèce. Tourner en temps de Covid était un obstacle supplémentaire auquel faire face. Cela a contribué à la densité du film car la vie du saint a été extrêmement difficile. Il a beaucoup souffert. Plus nous rencontrions de difficultés, plus nous étions fidèles à sa vie. Etonnamment, dans notre cas, cela a joué en notre faveur. Et vous imaginez si quelqu’un était tombé malade ! Notre budget était extrêmement serré. Nous n’avons jamais fait deux prises pour la même scène. Nous avons respecté le planning. Pas une seule personne n’a été positive au Covid. Nous avons clairement bénéficié d’une protection divine !

En quoi l’histoire de saint Nektarios peut-elle entrer en résonance avec le monde d’aujourd’hui ?

Son histoire est universelle. Elle n’est pas réservée aux chrétiens. Tout le monde peut voir ce film. C’est pour cela que j’ai été attirée par lui. Au début du film, en Egypte, on voit qu’il traite les chrétiens et les musulmans de la même façon. A l’époque, les musulmans étaient mal considérés. Le métropolite Nektarios était très respecté par ces indigents musulmans pour qui il priait et faisait guérisons miraculeuses. Il n’a pas cherché à convertir qui que ce soit. La scène avec le mendiant malade est authentique. Il ne lui a jamais dit qu’il l’avait guéri mais que ses prières l’avaient sauvé. Nektarios demandait même aux musulmans d’obtenir l’autorisation de leur imam pour qu’il puisse prier pour eux. Il a agi sans faire de distinction de couleur de peau ou de religion : c’était un véritable homme de Dieu. C’est ce genre d’exemple dont nous avons besoin aujourd’hui. Notre monde est très divisé. Il semble davantage rempli de haine que d’amour. Cette histoire d’amour et de pardon peut nous aider aujourd’hui.

A plusieurs reprises, on fait remarquer à Nektarios qu’il n’est plus citoyen grec…

Nektarios est né en 1846 à Sélyrie qui se trouvait alors en Grèce. Puis c’est devenu la Turquie. C’est une autre dimension du film : où est sa maison ?

Avant d’obtenir la nationalité américaine, j’étais une immigrée aux Etats-Unis pendant dix-huit ans. Je n’ai pas pu me rendre aux funérailles de mon père. Cette histoire n’est pas seulement la mienne. Il y en a beaucoup comme celle-ci. La majorité des migrants est à la recherche d’une vie meilleure. Ce sont souvent des travailleurs acharnés. Ils essaient de faire du mieux possible pour eux-mêmes et surtout pour leurs enfants, afin qu’ils aient accès à une bonne scolarité. Personne ne vient pour causer volontairement des ennuis. Ce n’est pas comme cela que ça se passe. Les Etats-Unis se sont construits grâce à l’immigration. C’est particulièrement hypocrite d’être parfois aussi fermé sur la question. Il faut des règles mais les migrants sont des personnes comme les autres et devraient être traités comme tels.

Saint Nektarios était proche de tous, hommes comme femmes. Vous ne pouvez pas représenter Jésus-Christ, mort pour l’humanité tout entière, et haïr quelqu’un d’une autre nationalité ou d’une couleur de peau différente. Ces attitudes sont contradictoires. L’histoire de Nektarios ressemble à celle du Christ : il a été persécuté parce qu’il menait une vie évangélique qui dérangeait ceux qui ne voulaient pas vivre selon ce qu’ils prêchaient.

Propos recueillis par Claire Rocher (SNMM)

« (…) chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait »

« Lire la Bible est une nourriture et une nécessité pour moi », affirme la réalisatrice qui se décrit comme une femme « engagée dans l’Église ». Pour elle, l’évangile selon saint Matthieu au chapitre 25 est très éclairant. « Je séparerai les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs » (verset 32), cite-t-elle de mémoire. « (…) j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » (v. 42-43). Et de conclure : « Par leur conduite, ils se sont condamnés eux-mêmes ».

Sur le même thème