Cardinal Turkson : « L’histoire du salut s’inscrit dans le cadre de la migration »

Le cardinal Peter Kodwo Turkson était à Paris pour le colloque « Dialogue social, rapprochement des cultures par les langues » à l’UNESCO, le 16 mai 2017. Il évoque la langue comme base de l’intégration mais aussi l’expérience de vulnérabilité vécue par chacun et particulièrement par les réfugiés. Il aborde aussi l’organisation du dicastère pour le Service pour le développement humain intégral dont il est le Préfet et dont fait partie la Pastorale des Migrants.

Comment l’apprentissage de plusieurs langues étrangères a-t-il marqué votre parcours ?

La langue est la base et le grand instrument de l’intégration. De l’apprentissage de la langue du pays dépend la compréhension mutuelle. C’est pourquoi il est indispensable. Ainsi les nouveaux arrivés réussissent à entrer dans la culture d’accueil.

Je l’ai moi-même vérifié chaque jour ! Le Ghana est un pays anglophone, entouré de pays francophones : la Côte d’Ivoire à l’Ouest, le Burkina Faso au Nord, le Togo à l’Est et la mer au Sud… Nous avons vécu une expérience très concrète au Ghana car, en sortant du pays, nous étions dans une grande confusion. Nous avons fait le choix de conduire à droite, d’adopter le système de mesure de nos voisins francophones (mètres au lieu des inches, grammes et non ounces, litres à la place des gallons, ndlr). A l’école, la possibilité d’apprendre le français était proposée au niveau secondaire.

Vers la fin de mes études à Rome, dans les années 80, voulant me perfectionner en français, j’ai demandé à passer quelques jours à Paris, chez les pères des Missions africaines (SMA). Si je me souviens bien, ils avaient une maison rue de Crillon (4e), proche de la gare de Lyon. Malheureusement, il s’agissait des locaux administratifs ! Nous nous retrouvions pour la messe et les repas mais après, chacun disparaissait dans son bureau pour travailler. Dans cette situation, je ne pouvais pas beaucoup pratiquer mon français… Heureusement, un cinéma se trouvait juste en face. Donc, après le petit déjeuner, je prenais un billet et je restais au cinéma jusqu’au moment du repas ! Pareil pour l’après-midi et la soirée. Je me laissais « bombarder » par la langue pour développer mon écoute. Le français que je parle aujourd’hui vient de cette expérience-là !

Que pensez-vous des couloirs humanitaires lancés avec l’Etat et des instances chrétiennes ?

Ces couloirs humanitaires existent aussi en Italie. Sant’Egidio les a mis en place en lien avec le gouvernement. Je sais qu’après la France, des négociations sont en cours en Espagne et en Allemagne. L’avantage de ces couloirs pour les réfugiés qui arrivent, c’est que les structures sont déjà prêtes à les accueillir, pour les aider à s’intégrer.

A ce sujet, nous pouvons apprendre du ministère du Saint-Père lui-même. Au Vatican, il a voulu créer pour les réfugiés une structure d’accueil qui leur permette de prendre une douche, etc. Si le grand pasteur prend une telle initiative, tous les catholiques qui le suivent peuvent s’en inspirer.

Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la migration n’est pas limitée à ce moment de l’Histoire. L’Homme a toujours vécu cette expérience. Elle comporte même un aspect religieux et spirituel. Ce n’est pas pour rien que l’histoire du salut s’est développée dans le cadre de la migration. La migration symbolise aussi la fragilité de la personne et la dispose à accueillir l’assistance de l’autre. Pensons à Abraham qui était ouvert à la présence divine. Chaque expérience de déplacement, libre ou forcé, nous met dans une situation de fragilité car nous perdons en sécurité. Cela devient une expérience de vulnérabilité. Elle ouvre les personnes à accueillir de l’aide et pour celles qui accueillent, cela crée une attitude bienveillante envers l’autre.

Chacun expérimente au quotidien cette perte de sécurité : en quittant sa maison pour aller travailler le matin. On sort dans la rue, on prend sa voiture : la vulnérabilité commence déjà. Cette expérience est semblable à celle des migrants. La différence, c’est que, pour nous, les points de départ et d’arrivée sont connus. Les migrants, eux, partent sans être sûrs de la destination. Cette expérience peut faire réfléchir. Le Seigneur dit à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai » (Genèse 12, 1). Nous sommes invités à agir comme Dieu pour ces personnes qui sont à la rue et qui ne savent pas où aller.

Vous dirigez le (tout nouveau) dicastère pour le Service du développement humain intégral ?

Nous sommes prêts à partir ! Quand nous avons reçu le Motu proprio – c’est-à-dire une initiative personnelle du pape François – qui fusionne quatre dicastères, nous avons dû écarter une option. Celle de créer un conglomérat, en les juxtaposant, chacun poursuivant son travail à sa manière.

Au contraire, les responsables ont été invités à tenir compte de l’enseignement social des papes Benoît XVI et François pour concevoir l’organigramme du nouveau dicastère. Il faut à présent faire venir ceux basés via della Conciliazione au palais Saint-Calliste, à quinze minutes du Vatican. C’est là que Justice et Paix et la pastorale des migrants se trouvaient, avec la Caritas Internationalis. Nous voulons être ensemble, sous le même toit. Avec cette nouvelle organisation, nous avons les moyens de mettre en œuvre le développement humain intégral, intuition du pape François.

Nous avions encouragé les conférences épiscopales à développer des Commissions Justice et Paix. Or nous voulons maintenir ces structures dans chaque Eglise locale. Et si le nom a disparu, les fonctions existent encore. Nous allons créer une petite fondation pour suivre ces organismes-là.

Nous allons donc inviter les conférences épiscopales à développer les liens, au niveau des paroisses, entre les diverses initiatives qui répondent aux besoins humains – santé et assistance humanitaire, dignité des personnes et droits humains, même la question des Roms – de manière coordonnée.

Propos recueillis par C. Rocher (SNPMPI)

Image