Traite des êtres humains : Mgr Colomb avec le Groupe Santa Marta à Rome

Santa Marta 2018 Piloté par le cardinal Vincent Nichols, archevêque de Westminster (Angleterre) et président du Groupe Santa Marta, la rencontre 2018 s’est tenue à Rome, les 7 et 8 février. Une soixantaine de pays d’Europe était représentée par trois cardinaux, quelques évêques – dont Mgr Georges Colomb, évêque de La Rochelle et Saintes (dernier rang, 2ème place) – et de nombreux fonctionnaires de police. Propos recueillis par C.R.

Qui représentait la France ?

J’étais avec Geneviève Colas, chargée de ces questions au Secours Catholique – Caritas France. C’est une experte dans ce domaine : elle est notamment intervenue aux Nations Unies. Les organisateurs avaient souhaité qu’un haut fonctionnaire de police nous accompagne. J’ai donc écrit au ministre de l’Intérieur, mon homonyme. Son chef de cabinet a désigné Jean-Marc Droguet, directeur de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains. Celui-ci a fait une intervention brève mais très bonne.

On sent dans la relation entre les différents acteurs qu’il se vit un travail en équipe. Pour la France, je crois que nous avons inauguré quelque chose et je m’en réjouis. M. Droguet a vu l’Eglise au service des plus pauvres.

Que retenez-vous des situations présentées ?

Je pense notamment aux femmes du Nigeria à qui les trafiquants promettent la Lune et qui, quand elles arrivent en Angleterre ou en France, sont livrées à la prostitution. En France, la prostitution concerne essentiellement les femmes du Nigeria, de Chine et d’Europe de l’Est. Dans d’autres pays, la traite prend d’autres formes, comme le trafic d’organes. C’est très grave.

Dans sa prise de parole, Geneviève Colas a rappelé que nous vivions dans un monde globalisé, traversé par des crises humanitaires, marqué par des catastrophes naturelles. Elle a insisté sur les violations des droits de l’Homme, qui créent des déplacements forcés et d’importants flux migratoires. Ces mouvements détruisent les structures communautaires des populations et fragilisent les cellules familiales. Ils exposent à tous les dangers les enfants et les personnes les plus vulnérables. Elle a bien souligné les interconnections entre migration et traite.

Les termes « trafic des migrants », « traite des êtres humains » recouvrent des réalités différentes. Geneviève a insisté sur le fait que trop souvent les politiques font l’amalgame, pour ne considérer que l’aspect sécuritaire, s’intéressant aux trafiquants et non aux victimes. On ne peut pas reprocher aux forces de police de ne cibler que les trafiquants ! D’où l’intérêt de la coopération avec l’Eglise et avec toutes les associations, d’Eglise ou non, qui oeuvrent pour aider ces personnes.

Sans ressources ni documents légaux, parfois liés par une dette contractée auprès des passeurs pour le voyage, les migrants et les réfugiés sont des cibles pour les trafiquants car vulnérables à toutes formes d’exploitation : Exploitation sexuelle, esclavage domestique, travail forcé… Certains sont contraints de mendier, d’autres poussés à la délinquance. Ils sont parfois victimes de mariages forcés. Et parfois dans certains pays, utilisés pour des actes terroristes. Je ne soupçonnais pas cela !

Les mineurs non accompagnés courent des risques de traite encore plus grands, pendant le voyage mais aussi dans les camps surpeuplés. En arrivant en Europe, beaucoup disparaissent. Certains sont exploités ou retenus en captivité pour une rançon. Les réseaux de traite des êtres humains les plus organisés disposent d’équipes présentes dans différents pays. Or les liens positifs que les mineurs ont pu créer avec des associations se délitent au gré des déplacements qui leur sont imposés.

Comment la France est-elle mobilisée contre ce fléau ?

Alors qu’au niveau gouvernemental le premier plan de travail contre la traite des êtres humains (2014-2016) a manqué de moyens, le suivant tarde à voir le jour.

Geneviève Colas plaide pour un travail de sensibilisation auprès du grand public et de prévention auprès des publics à risques. Ce travail est mené, avec supports spécifiques (dvd, livres), par le Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » qui regroupe une vingtaine d’associations de la société civile, coordonné par le Secours Catholique – Caritas France. Le livret « #Devenir » aborde l’accompagnement des enfants victimes et pour la prévention. D’ailleurs Guido Freddi, réalisateur des films #INVISIBLES et #DEVENIR, avec l’association LYO (Les Yeux Ouverts), a reçu le Prix de la Dignité et des Droits de l’Enfant au Festival International du Film des Droits de l’Homme, au Kirghizstan.

Des soirées grand public sont organisées : au Barreau de Paris, à la Maison des évêques de France, dans les paroisses, les établissements scolaires… en lien avec la Journée Mondiale de Prière et Réflexion contre la Traite du 8 février. C’est le jour de la fête de Sainte Joséphine Bakhita, ancienne esclave, à la canonisation de laquelle j’ai assisté à Rome !

Des formations existent pour les professionnels – pompiers, secouristes, travailleurs sociaux, policiers – qui sont en contacts avec des personnes victimes de la traite.

De nombreuses associations sont engagées sur le terrain pour accompagner les victimes. Le foyer AFJ, géré par les sœurs adoratrices, s’adresse aux victimes d’exploitation sexuelle. A l’initiative des congrégations « Notre Dame de Charité » et « Le Bon Pasteur », « Les Champs de Booz », viennent en aide aux femmes migrantes seules. « Aux Captifs la Libération » fait un travail de maraude. L’association s’est engagée dernièrement dans un projet avec les enfants de la rue venant d’Afrique du Nord, de plus en plus jeunes, et qui courent un grand risque d’exploitation.

Par ailleurs, le travail en réseau se développe. La France est partie prenante de RENATE, Religieuses en Europe en Réseau Contre la Traite et l’Exploitation. Citons aussi COATNET (Christian Organisations Against Trafficking NETwork), coordonné par Caritas Internationalis. Le Secours Catholique est très engagé pour les Caritas d’Europe.

Des collaborations existent avec le Conseil de l’Europe et la Commission nationale constitutive des Droits de l’Homme. Des actions de plaidoyer sont menées à tous les niveaux par l’Eglise en France afin que les politiques luttent contre ce fléau. En juin dernier, le Secours Catholique et ses partenaires ont présenté au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU des propositions pour lutter contre la traite des enfants et établir un statut des victimes sans criminalisation des enfants, donner un représentant légal pour chaque enfant, etc.

Quelles paroles du Pape ont été marquantes ?

Le Saint-Père a remercié les participants pour leur contribution importante et essentielle sur les causes et les conséquences de ce scandale. Il a fait part de son espérance que ces jours de réflexion et de partage puissent éclairer et questionner les aspects locaux et globaux du trafic humain. Il a ajouté que l’expérience montrait que ces formes modernes d’esclavage sont beaucoup plus répandues qu’on pourrait l’imaginer. Ce scandale est la honte de nos sociétés prospères. Il a rappelé le cri de Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (Genèse 4, 9) Le Pape emploie des mots forts.

Il a rappelé que c’était pour nous un défi d’étudier sérieusement toutes ces formes de complicités par lesquelles les sociétés tolèrent et encouragent, particulièrement la prostitution, puisqu’elles ne la punissent pas. A ce sujet, M. Droguet a souligné qu’en France, on ne punissait pas les prostituées, on punit les trafiquants. On est dans le droit et la miséricorde.

Rencontre du Groupe Santa Marta 2018
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