Carême 2018 : « Provoqués à la solidarité par les migrants de Calais »
Suite au démantèlement de « la Jungle » de Calais, un CAO ouvre en 2017 au Berceau. Témoignage pour le Carême d’une conversion à la solidarité « avec eux » et « entre nous ». (Témoignage 2/3)
Au lieu natal du saint landais, près de Dax, une fondation, Œuvre du Berceau de st Vincent de Paul, fut créée au XIXème siècle, afin de perpétuer la mémoire de ce « saint au Grand Siècle »[1]. Elle fut le fruit d’une longue recherche, d’une quarantaine d’années, entre les pouvoirs civils (Préfecture, Département et communes), l’Eglise diocésaine, et les héritiers du fondateur de la Congrégation de la Mission (Lazaristes). Près de la maison natale du petit Vincent, ont été construits et adaptés, au fil des ans, une chapelle, un hospice (devenu maison de retraite, puis EHPAD), deux orphelinats (devenus un ensemble scolaire de la maternelle au secondaire), un centre spirituel, et les maisons des communautés des Filles de la Charité et des Lazaristes. Tout cet ensemble continue d’animer la mémoire de st Vincent de Paul, dans une dynamique de partenariat entre les autorités civiles, l’Eglise diocésaine et les deux congrégations fondées par Monsieur Vincent.
C’est dans ce cadre qu’à l’automne 2016, le Sous-Préfet de Dax et le maire de la commune de St Vincent de Paul, membres du Conseil d’Administration, sollicitent l’Œuvre du Berceau pour participer à l’accueil des migrants de Calais, suite au démantèlement de « la jungle » décidé par le président de la République. De fait, la propriété de l’Œuvre du Berceau contient des bâtiments peu exploités, et ces deux responsables civils demandent l’accueil d’une trentaine de personnes, voire une cinquantaine.
Un CAO au Berceau
Notre première réaction est d’abord mêlée de craintes et de résistances, par manque de moyens (en personnes et en finances), et par peur de la mixité de populations en fragilités (avec les enfants de l’école et les résidents de la maison de retraite). Après un délai bousculé de réflexions, nous trouvons un accord, début décembre, pour créer un Centre d’Accueil et d’Orientation (CAO), pour une quinzaine de femmes et une ou deux familles, qui sera géré par une association habilitée, avec un accompagnement professionnel de jour et de nuit, des soins médicaux, et qui s’appuiera sur les bénévoles des réseaux locaux. Les premiers migrants arrivent début février 2017 : il s’agit d’une famille originaire d’Afghanistan avec quatre enfants, et de douze femmes isolées venant d’Ethiopie, Erythrée, Somalie et Afghanistan. Progressivement, la prise en charge des personnes dans toute leur démarche de demande d’asile (suivi médical, dossier de demande d’asile, apprentissage du français, scolarisation des enfants …) se passe bien.
En mai 2017, la famille afghane voit son dossier accepté et passe au CADA de Mont de Marsan. Dans des conditions semblables, quelques femmes quittent le CAO du Berceau pour la suite de leur dossier. Parmi elles, une jeune femme rejoint son époux et va donner naissance à leur premier enfant. Les services de l’Etat ne laissent pas la structure longtemps à demi-régime, et d’autres femmes isolées arrivent, toujours d’Afrique de l’Est, avec une autre famille afghane de trois enfants. L’effectif passe à vingt-neuf personnes accueillies. Selon nos petits moyens, nous arrivons à faire évoluer l’accueil tout en veillant à sa qualité. Ce groupe restera jusqu’au 31 octobre 2017, puis partira pour Dax avec l’ouverture d’un nouveau CADA.
Un migrant, un vélo
La venue des migrants nous a provoqué à la solidarité. Ils avaient besoin d’un lieu où se poser, où pouvoir reprendre souffle et commencer à tracer leur nouveau chemin de vie. Ils nous ont provoqué à la solidarité avec eux, jusqu’à venir frapper à notre porte, même indirectement au départ, et nous l’avons ouverte. Mais aucun des différents acteurs impliqués chez nous n’y serait arrivé seul. Les migrants nous ont provoqué à une solidarité entre nous. Nous ne sommes pas forcément habitués à travailler ensemble, tout en entretenant des bonnes relations de voisinage. Les migrants, avec toutes les difficultés cumulées d’un si long périple (par exemple, de l’Afghanistan en passant par la Russie, pour atteindre l’Union Européenne par un pays balte, et jusqu’à la France !), arrivent avec de nombreux besoins fondamentaux. Nous avons pu y répondre, parce que nous nous y sommes mis ensemble. L’ensemble a été administré par les salariés efficaces de l’association La Maison du Logement de Dax, habilitée par l’Etat. Les repas sont fournis par l’Hôpital de Dax. Les paroissiens se sont mobilisés pour donner rapidement, à chacun des migrants, un vélo. Les enfants ont été accueillis au centre de loisirs de la commune et la différence de langue ne les a pas empêchés de bien jouer avec les autres. J’ai même pu voir un discret contact local des femmes d’Afrique avec une voisine arabophone et musulmane. Elles ont pu se retrouver entre autres pour le partage du Ramadan.
Cette expérience de solidarité nous a appris à travailler ensemble et nous permet aujourd’hui d’engager d’autres chantiers de solidarité, dans la fibre même de st Vincent de Paul.
Depuis début novembre 2017, les bâtiments, laissés nets, retrouvent une pleine quiétude … jusqu’en ces jours où un nouvel accueil pourrait être demandé… A suivre.
Père Frédéric Pellefigue, cm
[1] Cf. Marie-Joëlle Guillaume, Vincent de Paul – un saint au grand siècle, (Ed.Perrin, 2015)
Lire le récit de la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2018 au Berceau