Visite à Calais

calais_distribution_repasSoeur Geneviève Perret est religieuse auxiliatrice, responsable des soeurs aînées de sa congrégation. Les 30 et 31 mai 2017, elle a rendu visite à l’une d’elles, envoyée en mission auprès des exilés de Calais. Témoignage.

Sur Internet et dans les journaux, on a pu lire la lutte actuelle des associations pour offrir, malgré les entraves mises par la mairie et la préfecture, un minimum de services humanitaires aux quelques centaines d’exilés qui tentent de survivre dans la région, qu’ils soient arrivés depuis le démantèlement de la « Jungle » ou, pour quelques-uns, revenus à Calais pour des raisons diverses. Témoin de l’une des péripéties de leur survie, j’en ai été bouleversée…

Mardi 30 mai vers 18h, nous faisons un tour à la distribution du repas : bon moment pour retrouver des exilés connus des bénévoles ou nouer de nouvelles relations. Sur la zone artisanale contigüe à l’emplacement de l’ancienne « Jungle » se trouvent les camionnettes des associations, celles qui distribuent les repas, mais aussi celle qui apporte un grand container d’eau et celle de « Gynécologie sans frontières » qui essaie de rejoindre les femmes que le long voyage de plusieurs mois aux mains des passeurs expose à des sévices sexuels et dangers de toutes sortes. Nous sommes juste à côté d’entrepôts où se déroule le travail habituel de la zone artisanale et nous sommes avec ceux et celles qui comptent sur les associations pour manger, qui n’ont pas où se laver, qui n’ont pas d’autre toit que le couvert des arbres d’un petit bois, juste à côté, sous lequel ils se cachent : la vie « normale » et la grande misère humanitaire en un seul tableau, c’est surréaliste ! Seul « hébergement » différent du sous-bois : dans une sorte de vieille baraque de chantier vit une famille afghane avec 3 jeunes enfants. J’apprends qu’environ 300 personnes se réfugient comme elles peuvent sur ce site, majoritairement des Soudanais et des Erythréens. Deux autres sites, l’un à proximité de l’accueil de jour du Secours Catholique et l’autre vers l’hôpital rassembleraient chacun environ 150 personnes, plutôt des Afghans. Nous parlons avec quelques exilés connus, notamment une jeune Ethiopienne. Les bénévoles donnent quelques conseils juridiques, se soucient des enfants : peut-être faudrait-il leur apporter des livres ? Une voiture de police est là mais l’atmosphère est calme. Je retrouve quelques sensations éprouvées dans l’ancienne Jungle : par exemple, ce sentiment que la vie continue malgré tout…. Et je me demande : une petite « Jungle » est-elle en train de se reconstituer, mais dans des conditions bien pires, sans abris, sans eau, sans organisation ?

Le lendemain, mercredi 31, je recevrai brutalement la réponse à ma question. Alors que nous nous trouvons en ville avec le responsable du Secours Catholique, nous sommes interrompus par l’appel téléphonique d’un bénévole signalant que la police interdit la distribution du repas de midi. Nous nous rendons sur les lieux.

Une camionnette de police barre l’accès au lieu de distribution où l’on ne voit personne : ni exilés ni bénévoles. Le responsable du Secours Catholique demande à voir l’acte de justice justifiant l’interdiction, le policier renvoie à son supérieur, tout en disant qu’il est absent ! Le responsable du Secours Catholique demande alors où sont ceux qui doivent distribuer le repas. Réponse : « On ne sait pas ». Nous nous engageons dans une rue parallèle et trouvons les bénévoles et migrants une centaine de mètres plus loin, avec d’autres véhicules de police. Le repas est servi sous la menace de trois policiers, équipés d’un flashball et de grenades lacrymogènes.

Ce qui s’est passé, c’est que le moment du repas, quand les exilés sortent du bois, a été celui où la police a investi le bois pour détruire ou enlever tout ce qui servait plus ou moins à s’abriter : bâches, couvertures de survie, duvets… y compris toutes les affaires personnelles qui se trouvaient là. Quand il devient possible de s’approcher, nous voyons des employés municipaux qui, sous la surveillance de la police, terminent de remplir une benne à ordures avec les affaires des exilés. Un bénévole nous dit que l’un d’eux a été arrêté.

De jeunes Ethiopiennes que nous connaissons sont choquées, le sac d’affaires personnelles de l’une a été embarqué, pour l’autre, c’est son téléphone. Devant le camion qui va emporter la benne, nous essayons d’apitoyer le policier, mais pas moyen ! Le sac est quelque part dans la benne, il ira à la décharge. Il ne reste plus qu’à nous étreindre et pleurer…

Quand l’accès au bois est à nouveau possible, nous sommes invitées à y accompagner les jeunes : « Come and see our home ». En nous frayant un chemin entre les arbres, nous arrivons à un endroit où il reste par terre sous des branches basses un tube de dentifrice, une crème Nivea, trois chaussures et quelques plastiques épars…

Nous proposons aux jeunes de passer la nuit chez nous avant d’aller demain au vestiaire du Secours Catholique : « No, we try », répondent-elles. Je crois comprendre qu’elles essaient de rester dans le bois malgré l’absence d’abri, en réalité, c’est peut-être le passage en Angleterre qu’elles vont tenter cette nuit. Mais si demain elles sont encore là, nous essaierons de les inviter au moins à prendre une douche chez nous, puisque la mairie fait obstruction à l’usage de celles que le Secours Catholique a installé dans ses locaux.

Des associations attaquent l’Etat

Pour contrecarrer les forces de l’ordre qui perturbent les opérations de distribution de nourriture, le terrain (privé) de la petite église Saint-Joseph de Calais accueille, depuis le 6 juin, les associations humanitaires tous les jours, pour le repas de midi. Jacques Toubon, défenseur des droits, s’est dit « très préoccupé », mercredi 14 juin. Il a dénoncé,  des atteintes aux droits des exilés « sans précédent »,  notamment envers les mineurs. Vendredi 16 juin, onze associations (dont le Secours catholique et la Cimade) ont déposé un référé-liberté au tribunal administratif de Lille, pour obliger l’administration à venir en aide aux migrants. Evêque d’Arras, Mgr Jean-Paul Jaeger s’est exprimé sur la situation à Calais dans un communiqué daté du 19 juin. » En ouvrant un terrain paroissial, l’Eglise locale donne un signe modeste des dépassements nécessaires. Je m’en réjouis et je l’encourage. Quand un être humain a faim, on ne lui demande pas qui il est et d’où il vient, on commence par lui donner de quoi se nourrir. S’il est en manque d’hygiène et de soins, toutes affaires cessantes, il doit pouvoir se laver, se faire soigner. On ne peut pas aller plus loin sans ces préalables indispensables à la reconnaissance et au respect. Nous savons par expérience que les plus beaux élans humains peuvent être pervertis par l’exploitation de la misère « .
Image