Carême 2018 : « La fraternité qui gagne… »
Claudine Lanoë est déléguée à la Pastorale des Migrants pour le diocèse de Cambrai. Elle témoigne de la conversion du regard sur les migrants vécue par les membres de la chorale des P’tits bonheurs, en 2016.
Quand Géraldine et Yves ont proposé à la chorale des P’tits bonheurs le thème des migrants pour leur prochain spectacle, ils ont provoqué des réactions de rejet suffisamment nombreuses pour consacrer une journée à en débattre.
Le jeudi 3 novembre 2016, la chorale m’accueillait à la maison du diocèse. Une fois leur « boussole » distribuée aux 30 participants – quatre phrases fortes sur « la fraternité qui gagne », proclamées le 16 juin 2016 lors de Festi’frat (cf. encadré)- place, non aux grands discours, mais à des animations qui permettent aux participants de s’exprimer librement sur la question du jour : « Migrant, le frère venu d’ailleurs ? » Le point d’interrogation signalant le droit pour chacun de répondre « oui », « non », ou d’être indécis.
Tous sont invités à dire vraiment ce qu’ils ont sur le cœur, ce qu’ils ressentent quand ils entendent le mot « migrant ». Des Post-it ont été distribués : chacun écrit un mot, une phrase. Puis les Post-it sont ramassés, collés les uns à côté des autres : toutes les opinions sont mises à égalité ; je les lis à haute voix ; les paroles sont reçues dans le silence ; on les accueille sans les critiquer, sans y répondre ; je veille au grain : j’ai un carton jaune à portée de demain mais je n’aurai pas à m’en servir !
« Le migrant remet toute sa vie à zéro »
Riche moisson que ces paroles : le mot « peur » est fréquent et se décline en crainte du nombre, des difficultés liées au chômage : « trop envahissants, il faut qu’on s’occupe de ça », alliée à celle du terrorisme : « La peur car ils sont très nombreux et des terroristes se cachent parmi eux ». Et si la peur qu’on oublie les pauvres d’ici est bien présente, elle se conjugue avec la fraternité envers les migrants : « On doit les aider, ce sont nos frères ; il faut penser aussi aux gens de la rue qui sont aussi nos frères ».
La relecture des vies à la lumière de la Parole invite chacun à voir dans l’étranger un frère (« Nous sommes TOUS des migrants ; Abraham notre père à tous, est le premier migrant »), à le comprendre, à se sentir concerné par ce qu’il vit (« Migrant : quelqu’un qui a dû quitter son pays pour vivre », « étrangers en détresse », « Migrant : frère », « moi, toi, frère »), à dépasser l’émotion, à réfléchir aux causes des migrations (« Abandonnons le regard qui juge pour connaître les vraies raisons », « Migrant, celui qui fuit la guerre , la persécution, qui espère une vie plus fraternelle et prend tous les risques comme je pourrais , comme nous pourrions, le faire en de telles circonstances… déraciné , voyageur bien malgré lui, il remet toute sa vie à zéro »).
C’est à partir de ces paroles qu’est construite l’animation suivante : un jeu de positionnement. A chaque affirmation, on se positionne dans l’espace, côté « d’accord », « pas d’accord » ou, si l’on est indécis, au milieu, dans « la rivière du doute ». Les participants donnent très vite à ce jeu une autre dimension que d’habitude, en y apportant l’expérience de leurs galères, en particulier, pour certains, d’une période de leur vie passée à la rue. La parole se libère, la situation des migrants faisant écho à leur propre vécu, d’abord pour se positionner contre eux, puis pour voir en eux des compagnons de galère à la faveur d’un débat d’une grande franchise et riche en émotions. Certaines informations [chiffres de 2015, ndlr] orientent la discussion sur les vraies causes de toutes ces situations: les 80 hyper riches de la planète possèdent le revenu de la moitié de ses habitants (3, 5 milliards); chaque année l’évasion fiscale prive la France de 60 à 80 milliards d’euros, les pays du sud de 250 milliards d’euros, ce qui représente 6 fois la somme annuelle nécessaire à l’éradication de la faim à l’horizon 2025. Les responsables des galères vécues ne sont ni eux ni les migrants mais un système mondial injuste et ceux qui en profitent sans vergogne, en échappant à l’impôt. On a touché du doigt une des solutions aux problèmes des uns et des autres: chacun se sentira accueilli dans notre société quand la mondialisation, aujourd’hui si mal partagée, source de tant d’inégalités criantes, sera enfin remplacée par le souci du bien commun, de la juste répartition des richesses, de la dignité de chacun.
Résister par la fraternité à « la mondialisation de l’indifférence »
La chorale des P’tits bonheurs a choisi de résister par la fraternité à « la mondialisation de l’indifférence » que dénonce le pape François. Elle nous montre le chemin, celui de la boussole de Festi’frat. Suivons-la dans cette belle aventure de leur prochain spectacle, dont le titre, « Migrations », a fait l’unanimité. Quant à moi, j’ai vécu ce jour-là une conversion du regard et de l’écoute. J’ai été bouleversée par ces paroles vraies, enracinées dans les difficultés de la vie. J’ai été émerveillée par la capacité du groupe à transformer ces cris en espérance, à vivre la fraternité, à poser des jalons pour la vivre en dehors du groupe, en posant sur les migrants un autre regard, en voyant en eux des frères de galère. Un immense « merci » à la chorale des P’tits bonheurs pour son accueil (…).
Claudine Lanoë, déléguée à la Pastorale des Migrants du diocèse de Cambrai
D’après l’article paru dans Eglise de Cambrai, n°1 du 5 janvier 2017.
PS : Depuis, la chorale a accueilli dans ses rangs un demandeur d’asile.
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Quatre phrases fortes sur « la fraternité qui gagne »
Gagner, c’est marcher ensemble vers l’égalité. Si on ne gagne pas en égalité, on ne peut pas être en fraternité. C’est gagner la dignité de soi-même et des autres, c’est quand on peut être debout.
Gagner, c’est quand l’amour vient gagner sur la haine. On finit parfois par détester l’autre. Quand on commence à faire un effort, on arrive à aimer l’autre et donc à gagner sur la haine.
Gagner, c’est aussi dans le sens de la fraternité qui se propage, se répand, gagne du terrain. C’est comme une bonne nouvelle qui se diffuse.
On a tous un fond commun : une humanité commune, que tu sois riche ou pauvre, noir ou blanc, quelles que soient les différences. Les chrétiens vont jusqu’à se reconnaître enfants d’un même Père.
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