Une existence qui s’épuise dans les camps

Evacuation et démantèlement final de la Jungle, le plus grand bidonville d'Europe (Calais, 24 octobre 2016).

Evacuation et démantèlement final de la Jungle, le plus grand bidonville d’Europe (Calais, 24 octobre 2016).

Le Deutéronome explique à la fin de son livre les diverses formes de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Au chapitre 28, il s’inspire des alliances politiques des traités assyriens, c’est-à-dire selon l’énonciation des bénédictions et malédictions qui scellent une alliance. Le chapitre s’achève, aux versets 64 à 69, sur une description de la vie concrète des exilés – comme ceux d’aujourd’hui et particulièrement les primo-arrivants qui n’ont pas d’autre solution que de vivre dans un « camp ».

La dispersion dans des pays inconnus, tout d’abord (v 64), où les repères culturels sont difficiles à déchiffrer et les coutumes parfois difficiles à accepter. Ensuite, dans ces pays, une grande difficulté à trouver une place, à ce qu’on fasse une place à l’exilé, qui ne sait pas où « poser la plante de son pied » (v 65). Peut-être l’exilé sera-t-il contraint à dormir dans la rue, à poser sa tente aux carrefours des autoroutes, qui ne sont pas une « place ». « Et là », le quotidien est dominé par un cœur inquiet, un regard qui finit par s’éteindre, une existence qui s’épuise, à attendre, à tuer le temps, à n’avoir rien à faire. Pour certains exilés, le temps s’étiole, il s’écoule sans but, à peine soutenu par un projet qui apparaît de jour en jour irréalisable. Que devient la vie alors ? Elle est en suspens, la nuit et le jour ne sont que tremblement, de froid, de peur. Et chacun commence à perdre confiance en sa vie (v 66), qui ne trouve rien de ferme à quoi se raccrocher. Où que se tourne le regard, trop rarement il rencontre un autre regard, mais le plus souvent ce qu’il voit l’effraye, les gens qui circulent, préoccupés, inattentifs, distants : le cœur en tremble (v 67), matin et soir d’une journée n’ont guère plus de sens. L’exilé peut bien essayer de « se mettre en vente » (v 68), de trouver un petit boulot à la sortie du métro, cela restera une forme d’esclavage.

La description du Deutéronome est sans doute assez terrifiante, mais elle est aussi plus que moderne, si nous savons voir et comprendre ce que vivent les exilés dans les camps. La vie dans les camps est-elle une malédiction ? Pas toujours[1], mais quand même. C’est en tout cas ce que suggère Dt 28, en situant cette expérience qu’il montre bien connaître à la fin de sa liste de malédictions d’un traité d’alliance. Malédiction signifie ici que la vie dans les camps, comme on la voit encore de nos jours, est un malheur en soi. C’est un malheur de laisser vivre ainsi des personnes, sans aucune considération, sans prendre nos responsabilités.

En fait, Dt 28 décrit la situation qui fut naguère vécue en Egypte (v 68), à laquelle l’exil semble reconduire. Mais alors, un autre exode, nouveau, différent de l’exil, serait-il possible ? Comment retrouver une petite lumière d’espoir avec les exilés des camps, envisager un exode plutôt qu’un exil ?

Père Jean-Marie Carrière, SJ

[1] Les ouvrages de Michel Agier, notamment sur la jungle de Calais, montrent que la vie dans les camps peut s’organiser autrement que dans ceux de la Porte de la Chapelle à Paris.

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