Exil, Exode

désert_caravane« L’exil, c’est l’ADN de la Bible » nous fait remarquer le P. de Sinety[1]. Petit peuple pris en étau entre l’Egypte et l’Assyrie ou la Babylonie, Israël subit durement au long de son histoire les visées hégémoniques de ces Etats plus forts que lui. Dès le milieu du 8è siècle avant J.-C., l’Assyrien prend possession du royaume du Nord et déporte la population de Samarie dans d’autres parties de l’empire. Premier exil forcé. Au début du 6è siècle, c’est le Chaldéen qui met le siège devant Jérusalem, la détruira et conduira sa population en exil à Babylone. Deux événements qui marquent profondément la réflexion et la foi d’Israël, qui se pense avant tout en situation d’exil. Comme Tobit, exilé en Assyrie, qui se demande comment vivre sa foi en terre étrangère, à travers son histoire familiale. Ou, plus positivement, Ruth, la Moabite, qui par son admirable fidélité à sa belle-mère Noémie, quitte son pays et vit en exil. Sans parler d’Abraham, figure du migrant et de la foi, dont l’existence est celle d’un exilé, figure placée au tout début de la Bible. Jérémie écrit une « lettre aux exilés » (Jr 29,1-32). Le Deutéronome relit l’histoire sous le signe de l’exil, et décrit la douleur des exilés : « Chez ces nations, tu n’auras pas de tranquillité, tu n’auras même pas de place pour poser ton pied… Ta vie sera en suspens devant toi, tu trembleras nuit et jour, tu n’auras plus confiance en ta vie » (Dt 28,65-66). Vivre en exil, c’est comme retourner en Egypte, où « vous vous mettrez vous-mêmes en vente pour être serviteurs et servantes », conclut Deutéronome 28,68.

L’exode, un commencement

Mais précisément, de l’esclavage en Egypte, les fils d’Israël sont sortis, libérés par la main puissante du Seigneur. L’Exode est une sortie et un déplacement. La libération d’une condition de servitude, la sortie d’un système social et politique de pouvoir absolu, celui du Pharaon, sourd et obstiné. Et un déplacement, le mouvement à travers le désert inhabitable, les longues haltes au Sinaï et à Qadesh. Tout un long temps pendant lequel la liberté reçue gratuitement à la sortie d’Egypte va trouver les manières pertinentes d’être effective et concrète : non plus les murmures et les révoltes, mais la capacité de se parler mutuellement avec respect ; des institutions, un culte. Sortir d’Egypte, traverser le désert : l’Exode, c’est un commencement, pour apprendre à vivre avec d’autres, au milieu des autres.

Exil, Exode. Partir, pour le migrant et le réfugié, c’est un peu comme l’Exode. Que le départ ait été brusquement contraint ou longuement mûri, il fait entrer dans une nouvelle manière de vivre,  celle d’être « séparé », il est le commencement d’une nouvelle vie. C’est entrer dans la condition d’exilé, où l’on porte douloureusement une mémoire et où l’on cherche comment vivre avec d’autres que l’on ne connaît pas.

Père Jean-Marie Carrière, SJ

[1] Mgr Benoist de Sinety, Il faut que des voix s’élèvent. Accueil des migrants, un appel au courage. Flammarion 2018.

Sur le même thème