Guy Aurenche : « A chaque génération et chaque culture d’apporter sa contribution aux Droits de l’Homme »
Ancien avocat au Barreau de Paris, Guy Aurenche a notamment présidé l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et le CCFD-Terre Solidaire (Comité catholique contre la faim et pour le développement). 70 ans après la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il publie « Droits humains : n’oublions pas notre idéal commun » (Ed. Temps Présent). Propos recueillis par Claire Rocher (SNPMPI).
Ce livre est dédicacé « à Chloé ». A qui d’autre est-il destiné ?
Ma petite-fille Chloé à bientôt 18 mois ! Ce livre a été écrit pour celles et ceux qui nous suivent. Non pas dans l’anxiété d’un grand-père, qui aurait l’impression que le monde « fout le camp » et que tout le monde est méchant mais en confiance, dans l’accompagnement de ces plus jeunes ; dans le fait de se poser quelques questions qu’à 72 ans, je considère comme vraies, et entre autres, toutes celles autour de la dignité de la personne et des droits humains. Non pas pour les laisser faire le travail à notre place : notre génération a encore beaucoup à dire. Ayant été en responsabilité à l’ACAT et au CCFD-Terre Solidaire, je suis toujours agacé quand on me dit qu’il n’y a que des têtes blanches à mes conférences : je suis très heureux qu’elles soient encore là ! On peut penser qu’elles sauront un jour soit transmettre quelque chose, soit inciter d’autres à inventer leur manière de faire. Un de mes livres précédents portait sur la dynamique des droits de l’homme. Je pense qu’il faut que chaque génération, chaque culture, apporte sa contribution.
Quel regard portez-vous sur le contexte social en France ? Vous citez Mireille Delmas-Marty qui parle « d’Etat de la peur » !
La peur a toujours existé et il faut en tenir compte. Il y a des peurs chez moi, chez chacun, j’imagine. Attention à ce que les militants – chrétiens en particulier – ne pas donnent pas l’impression à ceux qui ne partagent pas leur foi que ce sont des peureux. Il faut prendre en compte cette peur car elle fait partie de la conjoncture actuelle. La peur ne m’inquiète pas car nous en sommes pétris. En revanche, la manipulation de la peur m’inquiète. Je lisais l’édito de La Croix sur la déclaration du Ministre de l’Intérieur au sujet des associations qui envoient des bateaux en Méditerranée. Je trouve que là, c’est indigne parce qu’il joue sur nos peurs, pour nous empêcher de réfléchir sainement. Je n’ai rien contre les politiques : j’en ai rencontrés d’admirables. Mais la phrase qu’il lance est purement politicienne, dans le mauvais sens du terme, parce qu’elle joue sur nos peurs en disant : « Voyez les étrangers, etc. Des associations sont complices des passeurs, etc. ». Nous avons une petite maison en Normandie. C’est comme si j’arrêtais de soutenir le bateau de sauvetage qui est sur la plage parce qu’il pourrait encourager des intrépides, des inconscients à prendre leur voilier, sans s’apercevoir que le vent est méchant dans la baie du Mont Saint-Michel. C’est absurde ! Comme je lui donne le crédit de l’intelligence, ce qu’il dit n’est pas absurde : cela relève de la manipulation de nos peurs. C’est ce qui nous empêche de voir sainement un certain nombre des enjeux. Ce que j’ai appris au cours de mes différents engagements, c’est d’essayer d’être aux côtés de celles et ceux qui n’acceptent pas l’inacceptable. Là où je peux, avec mes limites, mes forces et mes faiblesses.
Avec les Gilets jaunes, j’observe une réelle capacité d’indignation. Quand ils parlent d’injustice, ça m’intéresse. Il faut l’entendre. Après, il faut regarder ce qui est fondé, ce qui est sérieux, quel type de solution on peut apporter. Oui à cette capacité d’indignation en France. Mais qu’en fait ? Quand je donne des conférences, les gens me remercient toujours mais c’est moi qui suis épaté de voir qu’en Ardèche, un samedi après-midi, 200 personnes se réunissent autour de la gestion des flux migratoires, des Droits de l’Homme, de la conversion écologique… Ils ne se sont pas seulement indignés, ils agissent en solidarité avec les plus fragiles. Il faut s’en réjouir. Heureusement la manipulation de la peur ne tue pas les énergies de réaction !
Nous, anciens, soyons conscients que les plus jeunes auront des réponses à ces peurs et à ces désirs de justice très différentes des nôtres. Leur « militantisme » ne sera pas le mien. Que cela ne nous inquiète mais sachons nous accompagner mutuellement. Acceptons cette mutation dans les formes de réactions et d’engagements – y compris pour les chrétiens, avec une forme plus spirituelle, moins engagée socialement. Ne la jugeons pas !
Je suis très inquiet pour les élections européennes et en particulier au sujet de la manipulation de la question de l’accueil des étrangers. Là encore, on ne pose pas les choses sereinement.
Réfugiés climatiques et migrants économiques ne sont pas pris en compte par la Convention de Genève. Comment penser l’accueil de l’étranger ?
Il y a d’abord une chose à ne pas faire : penser que l’accueil des réfugiés au sens large est uniquement réglé par la Convention de Genève. Oui je fais tout pour sauver le statut des réfugiés politiques ! Mais si j’avais une critique à faire aux autorités françaises, voire européennes, c’est de limiter leur approche des flux migratoires uniquement à la seule réponse du statut de réfugié et du droit d’asile. Elles font une faute intellectuelle et morale. On est obligé de sortir de ce cadre. Faut-il tirer toutes les conséquences du « principe de fraternité », rappelé par le Conseil constitutionnel en juillet 2018 ? Pourquoi la fraternité, dans le cadre de l’accueil, se limite-t-elle à celles et ceux qui sont persécutés pour des raisons politiques, religieuses, d’orientation sexuelle, etc. ? Aujourd’hui il n’y a pas de justification rationnelle ou juridique pour la limiter à cela. En France, plus de 46.700 statuts1 ont été accordés en 2018. 500 millions d’Européens sont-ils capables de réfléchir ensemble à l’accueil, sous d’autres statuts, d’un, deux, trois, quatre millions ? Posons sereinement et sainement les enjeux. La réponse par le seul droit d’asile n’est plus suffisante.
Il est clair qu’il existe un devoir d’accueil et de fraternité par rapport à celui qui meurt de faim, qui pense que son fils mourra de faim encore plus vite que lui et surtout que sa petite-fille sera sous l’eau dans trente ans, parce que le niveau de la mer aura monté. C’est en cela que je m’intéresse aux droits de l’homme. La dynamique des droits de l’homme n’est ni une magie, ni une idéologie, ni un remède miracle ! On s’engage parce que sur le terrain, on constate une atteinte à la dignité. Premiers secours : qu’est-ce que je peux faire ? Puis quelles sont les causes auxquelles je peux m’attaquer pour essayer de limiter de telles atteintes ? Il y a deux aspects : l’immédiat et le moyen-long terme. Les droits humains ne donnent pas de solution mais des repères pour poser sereinement les choses. La référence à la dignité de la personne peut nous aider à ouvrir, sans angoisse, la question du statut des réfugiés aux réfugiés climatiques. Une fois dit cela, je n’ai pas donné de solution mais j’ai orienté autrement une posture, une perception. C’est un peu ce que j’écris dans le livre : je ne reproche pas aux responsables européens de ne pas avoir trouvé les solutions à la gestion des flux migratoires mais je leur reproche de mal poser le problème et de le poser uniquement de manière politicienne.
Comment avez-vous accueilli le pacte mondial sur les migrations, signé à Marrakech en décembre 2018 ?
Pour moi, « militant de l’accueil de l’étranger », je l’ai trouvé trop faible, bien sûr. Et pourtant, ce pacte a provoqué une levée de boucliers. Là c’est plus que de la manipulation, c’est du mensonge de la part de personnes qui affirment le contraire de ce que le texte dit. Dans le contexte actuel de l’explosion des mouvements migratoires, il s’agit d’un des premiers textes de portée internationale. Le fait d’affirmer qu’ensemble on peut chercher et trouver des solutions est fondamental. C’est une bagarre : il ne faut pas être des enfants de chœur. Nous avons contre nous des opposants qui s’appellent Trump (États-Unis), Erdogan (Turquie), Jinping (Chine) et Poutine (Russie) : ils refusent le multilatéralisme. Et Dieu sait si dans les associations, on trouve toujours les institutions internationales souvent inefficaces ! Le pacte de Marrakech dit qu’ensemble on pose le problème (cf. Laudato Si’, n° 17) et qu’ensemble on rappelle un certain nombre de principes fondamentaux. Je l’ai accueilli positivement, comme une réaction face au repli de chacun et au bricolage de petites solutions dans nos pays, et en référence aux textes fondamentaux sur les droits humains qui nous donnent l’horizon pour éviter ces mauvaises manières de poser le problème. C’est un premier pas. Il faut que nos associations aident l’opinion publique à voir ce qu’il y a vraiment derrière. C’est quand même terrible de passer notre vie à lutter contre des contre-vérités ! Certains construisent des mensonges plus gros qu’eux pour des questions de pouvoir.
En relisant vos nombreux combats pour les droits humains, que retenez-vous ?
Les plus pauvres m’apprennent le courage – je le dis sans fausse modestie – et m’aident à regarder autour de moi qui est encore plus pauvre. Quand j’en parle, tous ces visages me reviennent ! Ceux des veuves de Goma, au Nord-Kivu (RDC), là où c’est le viol systématique, la guerre et l’exploitation. Je leur demandais de me décrire le premier projet qu’elles ont soumis au CCFD-Terre Solidaire – 3000 euros pendant quatre ou cinq ans. Je pensais que c’était pour refaire leur paillote ou payer la scolarité des enfants. C’était pour ouvrir une maison d’écoute pour leurs sœurs violées. Quel courage de la part de paysannes analphabètes !
Je fais partie d’une famille bourgeoise, privilégiée. J’aurais pu être atterré lorsque les fondatrices de l’ACAT m’ont demandé de venir les aider. Comment est-on capable de torturer, d’affamer ? J’aurais pu être écrasé par cette horreur humaine. Je ne l’ai pas été. Quarante ans après, je ne le suis pas parce que j’ai appris le courage.
Aujourd’hui, ce que j’apprends, c’est que ces modestes combattant.e.s de la dignité, nous aident à ne pas nous installer, y compris dans nos actions militantes, avec « nos pauvres », notre approche de la pauvreté. Ce sont les plus pauvres qui nous aident à toujours voir les plus fragiles autour de moi, y compris dans mon XXème arrondissement de Paris, dans ma situation française, européenne ou mondiale. L’attention prioritaire ou « l’option préférentielle » pour les pauvres qui fait partie de la très riche pensée sociale de l’Église. Ces femmes de Goma me disent en quoi elle consiste : plutôt que garder l’argent pour elles, elles vont ouvrir un centre pour leurs sœurs violées. Alors qu’elles avaient toutes les raisons de faire quelque chose pour elles et leurs enfants. J’en suis bouleversé !
Je retiens aussi les dialogues interculturels qu’on peut avoir sur la base des droits humains. Je me souviens être allé en Thaïlande et en Birmanie. On rencontre, côté thaïlandais, des jeunes réfugiées katchines – une ethnie plutôt chrétienne, malmenée par le gouvernement actuel – elles étaient là pour six mois de formation à l’animation du village. Elles me demandent : « Vous qui venez de France, comment se construit la démocratie ? » Un dialogue a été possible. Je suis admiratif ! En Equateur, dans la forêt amazonienne, le chef des Indiens Sarayakus me parlait de la Pacha Mama, la Terre-Mère. Moi je suis plutôt rationaliste et je crains ce genre d’idole… Il me dit : « Dans ta théologie, dans tes réflexions politiques, regarde la réalité de l’importance de ta relation à la terre et à toutes les créatures ». Là-dessus, Laudato Si’, l’encyclique du Pape, m’aide beaucoup. C’est sur la base de la défense de la dignité humaine qu’on a pu ouvrir un dialogue interculturel, parfois même spirituel. C’est pour moi un cadeau merveilleux !
Pourtant certains remettent en question l’universalité des droits de l’Homme…
Regardons d’abord qui la met en cause. Ce ne sont pas les militants mais des dictateurs. Un certain nombre d’intellectuels réfléchissent et dénoncent le « droit de l’hommisme ». Les femmes de Goma elles me disent : « Élargis ta notion de droits humains, ton approche française, judéo-chrétienne et individualiste ». Elles vivent une dimension communautaire et pensent tout de suite à leurs sœurs violées qui sont désormais exclues de leur communauté.
Le problème n’est pas le même entre « refuser les droits de l’Homme » et « mettre en cause leur universalité ». Il y a une différence entre : « Moi, potentat chinois, je ne veux pas de vos Droits de l’Homme à l’occidentale donc je mets à la poubelle les textes, etc. » – ce qu’ils ne font pas d’ailleurs – et le fait de dire : « Ouvrons la notion, enrichissons-la par nos différentes cultures ». Au début du livre, je cite le témoignage Liu Xiao Bo, qui a publié en Chine, en 2008, lors du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la « Charte 08 » qu’il a fait signer par ses amis chinois : « (…) le peuple chinois se rend compte plus clairement chaque jour que la liberté, l’égalité et les droits de l’homme sont des valeurs universelles » (cf. p.27). Il ne faut pas oublier que cet homme mourra, en juillet 2018, dans un hôpital pénitentiaire, parce que la Chine l’a emprisonné et refusé qu’il sorte alors qu’on aurait pu le soigner. Quand des gens donnent leur vie pour une notion que certains intellectuels français considèrent comme trop occidentale, je modère ce genre de critiques ! J’accepte qu’on me pose de vraies questions. C’est toute la richesse de mon parcours à l’ACAT, au CCFD-Terre Solidaire ou encore à Justice et Paix : non pas critiquer ce que nous avons pu produire mais l’élargir, le nourrir.
Mais quand on est en face de gens qui refusent l’ide de dignité fondamentale ? Comme au Bruneï. Alors Il faut se bagarrer politiquement. Nous avons été capables de faire des boycotts politiques ou économiques. Là je suis peut-être un peu optimiste ou velléitaire, un peu naïf. Mais je n’ai pas d’autre solution. C’est du même ordre que le combat contre la torture. Ce combat, qui a avancé dans les années 80, est en recul aujourd’hui. Je pense à M. Trump mais il y en a d’autres. Ma réponse, c’est de soutenir les sociétés civiles. Les sociétés civiles d’inspiration musulmane ne sont pas toutes des extrémistes, des intégristes et des islamistes. Comment vais-je les aider, discrètement, pour ne pas les mettre en danger ? Il faut être intelligent. Ce n’est pas parce qu’on est militant qu’on est idiot. On sous-estime notre travail intellectuel, y compris de tactique, de stratégie. Sur la question de la migration, aujourd’hui, la confrontation ne fonctionnera pas. Et donc il faut trouver le moyen intelligent qui me permettra d’entendre les questions et permettra à l’autre d’envisager autrement la question.
Comment faire évoluer les politiques migratoires ? Quel rôle l’Eglise peut-elle jouer ?
On constate aujourd’hui la stérilité politique des Gilets jaunes. Soit parce qu’ils ont face à eux un pouvoir qui est dans une conjoncture un peu spéciale soit parce qu’ils refusent un certain nombre « d’impuretés » : que les gens vous représentent, qu’on choisisse cinq points prioritaires – ce qui ne veut pas dire que les autres points ne soient pas intéressants. C’est ce que j’appelle « la saine et l’intelligente stratégie ». Dans nos associations, il doit y avoir des rôles différents. Dans le domaine des étrangers, certaines sont en pointe sur le sujet, d’autres auront l’air plus modéré. Ce n’est pas une modération sur le principe, puisque l’horizon est le même mais la stratégie sera différente. Je pense que les services d’Eglise peuvent proposer des lieux de vrai dialogue. Quel est le lieu où rassembler des tendances très différentes ? C’est pour moi l’une des grandes richesses du CCFD-Terre Solidaire : la collégialité. Les évêques de France l’ont inventée il y a 60 ans. La base de l’association, ce sont 29 mouvements. Pour prendre une décision, je dois mettre d’accord les Jeunesses mariales (qui ont un certain style) avec la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (qui a un autre style), les Scouts et Guides de France, etc. Je crois beaucoup que les services nationaux de la Conférence des évêques de France peuvent être des lieux où réunir l’idée et la manière d’en convaincre une société. Je pense que la Pastorale des Migrants peut nous aider à voir ensemble cette question des flux migratoires, pour laquelle personne n’a de solution. Mais certains ont des options plus radicales que d’autres.
Que vous inspire le thème de la JMMR 2019 : « Il ne s’agit pas seulement de migrants » ?
C’est une réflexion fondamentale ! Ce sont d’abord des frères et des sœurs. Je raconte cette histoire dans mes conférences. Nous avons trois enfants. Notre garçon, le cadet, est plus « basané » que moi. Il est scolarisé dans le public. Un jour, à l’âge de 7 ou 8 ans, il rentre furieux : « Papa, tous ces Arabes, il faut les mettre à la porte ». Ce n’était pas un succès pour le défenseur des Droits de l’Homme… « Tu te rends compte, on m’a traité de « bico », de « sale Arabe ». Or il se trouve qu’à la même époque, dans notre maison, nous avions une « fille adoptive » de 15 ans, tunisienne et musulmane, qui vivait avec nous parce qu’elle étudiait au Conservatoire de musique et que sa famille nous avait demandé de l’héberger. Je l’interroge : « Alors Hager, on va la mettre à la porte ? » D’où la réponse que vous imaginez : « Ah, non. Hager, ce n’est pas pareil ». Donc c’est un travail sans fin, qui paraît naïf et dérisoire, mais qui consiste à aider à retrouver derrière ce qui est différent, ce qui nous agresse et nous fait peur, et qui s’appelle « l’autre », cette proximité de fraternité. L’autre est bousculant. On le voit bien dans nos relations familiales, conjugales, amicales ou autres. C’est pour cela que je suis très heureux que le Conseil constitutionnel ait parlé du « Principe de fraternité ». Qu’en feront les juges ? Je n’en sais rien ! Mais essayer de rappeler que « le différent » est aussi le frère, la sœur. La France ne serait pas ce qu’elle est si ces « différents » ne nous avaient pas construit un peu, quand même !
La solidarité envers les différents peut me servir. En ce sens, que quand je serai peut-être moi-même mis en cause…, le différent viendra alors m’aider. Je cite toujours l’histoire du Pasteur allemand Martin Niemöller (1892–1984). Dans les années 40, il s’oppose à Hitler, ira en camp de concentration et en sortira. Il raconte que quand les Nazis sont venus chercher les Juifs, il n’a pas bougé parce qu’il n’était pas Juif. Quand ils sont venus chercher les communistes, il n’a rien dit : il n’était pas communiste… « Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre » écrit-il. Je pense qu’il est très important de faire comprendre aux plus jeunes qu’ils peuvent avoir besoin de cette aide. Cette aide ne se limite pas à celui qui a les mêmes habitudes que moi. C’est peut-être un frère étranger – ou d’apparence étrange – qui va te tendre la main.
Je crois aux contacts, aux rencontres. J’ai appris beaucoup à travers les rencontres avec les partenaires du CCFD-Terre Solidaire, les ACAT africaines ou autres. On ne mange pas pareil, on réfléchit différemment mais on a passé une bonne soirée, en frère et en sœur. Comment incarner vraiment ce mot « fraternité » ? Ne pas réduire l’autre à sa différence. C’est ce que je reproche aux politiques : nous mettre le nez d’abord sur ce qui dérange, ce qui est différent. Comme parent et grands-parents, je vois la responsabilité qui est la nôtre d’inviter nos jeunes à se confronter à « l’autre », au « différent ». Non pas d’une manière idyllique – « On s’aime tous, il n’y a pas de problèmes » – car ce n’est pas vrai et c’est très compliqué, … mais en regardant ce qui est positif chez l’autre. Pendant mes années à l’ACAT, j’essayais de faire en sorte d’inviter les victimes libérées à la table familiale, en présence de nos enfants. Ils étaient « scotchés » d’entendre ce que telle femme mexicaine avait fait pour aider sa sœur prise dans la tourmente de l’opposition politique ; tel africain qui trouve quand même quelque chose à partager alors qu’il n’y rien à manger. Je crois au témoignage !
1 mineurs inclus, statut de réfugié et protection subsidiaire.