Comme Fahim, découvrir l’autre et ne pas avoir peur
Interview du Père Bernard Sarkar, aumônier national des Bengladeshis, sur le film « Fahim » de Pierre François Martin-Laval. Le prêtre originaire du Bangladesh connaît bien la famille de ce jeune prodige des échecs qui a raconté son histoire dans Un roi clandestin (Ed. Les Arènes). Sortie en salles le 16 octobre 2019.
Comment avez-vous réagi à la façon dont est filmé le Bangladesh ?
Je remercie le réalisateur Pierre François Martin-Laval pour le choix d’un tel sujet. Evidemment, parler du Bangladesh évoque des images de misère, de pauvreté et d’inondations. On pense aussi à la corruption. Et c’est vrai. Ce sont des réalités. En tant que Bengali, cela me fait de la peine de voir ces images mais il faut bien l’accepter. Un réalisateur choisit un angle pour son film. Il faut le respecter. Mais nous pouvons aussi découvrir des richesses. Aujourd’hui le contexte actuel est plus apaisé. Mais la surpopulation fait que cette région du monde est sous pression. C’est le pays dont la population est la plus dense : plus de 1. 000 habitants au km2. A la pression démographique s’ajoute celle des fondamentalistes musulmans. L’islam est la religion de 90% de la population.
Que dire du parcours migratoire de Fahim et de son père ?
C’est un parcours classique. Je connais beaucoup de cas similaires, personnellement. Choisir la France n’est pas courant mais il existe aujourd’hui des communautés de Bengalis bien installées. Même si c’est très différent et difficile sur le plan linguistique, ils viennent ici. Certains partent du Bangladesh pour l’Inde puis se débrouillent pour aller en Europe.
Fahim découvre beaucoup de nouvelles choses en France… Et les membres de votre aumônerie ?
Dans son malheur, le jeune Fahim a la chance inouïe, en arrivant en France, de se retrouver avec une bande d’enfants comme lui et d’avoir pour professeur un homme passionné qui va lui transmettre sa passion des échecs. Ils ont trouvé un langage commun ! Fahim découvre la neige. Quelle chose fascinante pour un enfant qui vient du Bangladesh. Il ne neige jamais mais il pleut souvent là-bas… C’est un émerveillement pour lui de voir la neige qui tombe. J’ai aussi découvert à travers le film que Fahim avait soif d’apprendre et de savoir. Dans notre aumônerie, les nouveaux arrivants sont souvent des adultes. Donc les découvertes ne sont pas les mêmes. S’ils sont surpris par l’indifférence religieuse et la sécularisation, ils sont ravis de découvrir que Lourdes est en France ! Les catholiques du Bangladesh ont un véritable attachement au sanctuaire marial, très connu là-bas. C’est une grande joie pour eux d’y aller en pèlerinage.
Le film montre des différences culturelles par rapport à la ponctualité, la façon de manger…
Quand les Bengalis sont entre eux, ils portent les vêtements du pays, surtout les femmes avec le sari. Triste constatation : Les femmes sont davantage voilées en France que là-bas. Quant aux horaires, c’est vrai ! Je me bats constamment. Quand je dis que la messe est à 11h, je ne peux jamais commencer avant 11h30 voire midi moins le quart ! Je ne saurais pas l’expliquer. C’est peut-être le rythme de vie. Imaginez Dacca, la capitale du Bangladesh. Il faut compter au moins trois heures pour aller d’un bout à l’autre de la ville qui fait peut-être 15 km.
Le film n’évite pas quelques clichés : les Africains vendent des tours Eiffel et les Bengalis, des fleurs…
Je dirais que les Bengalis sont plus romantiques ! Les fleurs sont très importantes dans notre culture. Les Bengalis aiment les fleurs. Pour le commerce, chaque nationalité a un peu sa spécialité.
Les scènes avec le traducteur indien sont choquantes. Comment les expliquer ?
On importe en France des rivalités entre nationalités. Mais les rivalités existent même entre Bengalis. C’est triste mais réel. Les premiers arrivants ont peur des nouveaux. Même dans la misère, l’être humain est dans la compétition. Mais les rivalités ne sont pas réservées aux migrants ! Je vois ça dans ma propre communauté chrétienne.
Que retenez-vous en terme de message à l’attention des Français ? Des étrangers en France ?
Si le réalisateur a voulu transmettre un message, c’est à chacun de faire l’effort de le découvrir. Pour moi, il n’y en a qu’un : découvrir l’autre et ne pas avoir peur. J’ai envie de dire aux Français : « Soyez vous-mêmes. Ne cherchez pas à imiter qui que ce soit car votre nation est riche et généreuse. Vous pouvez en être fiers ». Gérard Depardieu est un acteur que j’aime beaucoup. Je connais l’histoire de son personnage. Son côté bourru est une façade, derrière laquelle il se cache. C’est pour cela que je dis qu’il faut faire l’effort de découvrir l’autre. Accueillir l’autre n’est pas évident. A l’attention des étrangers en France, je dirais : « Soyez respectueux vis-à-vis de ce pays et de ce peuple qui vous accueillent ». Je crois que c’est vraiment une chose élémentaire. « Ne cherchez pas à imposer votre mode de vie parce que vous êtes accueillis ». Quand on est accueilli, on s’adapte.
Propos recueillis par Claire Rocher (SNPMPI).