« Home », un petit miracle sur scène
A l’occasion de la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié, le 29 septembre 2019, 18 élèves de l’Institut Fénelon de Grasse ont joué « Home », une pièce de leur création qui interroge le sens du mot « maison ».
Dans le diocèse de Nice, l’Institut Fénelon est un établissement de l’Enseignement catholique qui propose un cursus en français et en anglais à des enfants bilingues, dont les parents sont souvent des expatriés. Maud Savary est responsable de la Section internationale et Judith Derra, professeur de théâtre australienne, crée des spectacles avec les élèves.
« Home : un lieu ou un sentiment ? » Où et comment se sentir chez soi ? La question du déracinement n’est pas étrangère à ces jeunes. Changer de pays et de maison, ne pas parler la langue, tout cela fait partie de leur vécu. William, 16 ans, en classe de Première, explique : « Dans notre établissement, il n’y a pas de migrants comme ceux dont on parle dans notre pièce. En revanche, au sens propre du terme (personne qui déménage d’un endroit à un autre), dans la Section internationale, on est beaucoup à être migrants. Ce n’est pas du tout pareil que d’être réfugiés mais on a aussi connu ce que c’était de ne pas se sentir accepté ou chez soi. Il nous est arrivé de nous demander ce que c’était “a home”. »
Cubes noirs, costumes sobres aux couleurs de terre, musique d’Ibrahim Maalouf : les paroles et les regards sont d’autant mis en valeur que le décor est minimaliste. Ce spectacle est composé de « témoignages, poèmes de réfugiés et scènes créées par nous-mêmes », comme le détaille Eve, 17 ans, en Première aussi. Il tire son titre d’un poème de Warsan Shire, poète anglo-somalien. Tous les acteurs jouent d’ailleurs plusieurs rôles. « Cela permet de montrer l’opposition entre les témoignages de réfugiés et l’opinion de ceux qui ne veulent pas les accueillir, analyse William. Dans une scène, je joue un journaliste qui décrit et présente un endroit dans le désert qui va devenir le plus grand camp de réfugiés au monde ». Eve incarne notamment une femme « au cœur brisé » dont le mari est allé se battre « dans une guerre stupide, une guerre qui n’était pas la sienne ». Une guerre qui a bouleversé sa vie et qui a rendu les hommes qu’elle aime « incapables de revenir à une vie normale ».
Eve se réjouit que, dans son établissement scolaire, la pièce ait suscité une prise de conscience au sujet des réfugiés. « Nous l’avons jouée pour tous les élèves de Terminale (plus de 220) et pour d’autres classes volontaires. Je pense qu’elle leur a ouvert les yeux ». Maud Savary en est alors convaincue : « Il faut que cette pièce ait un avenir ».
« Nous avons été bouleversés »
Or, en Afrique du Sud, la responsable de la Section internationale échange avec Colin Northmore, qui dirige un établissement mariste, le Sacred Heart College de Johannesbourg. Il y a monté le programme « Three2Six » (« 15h-18h ») qui scolarise, chaque après-midi, 150 enfants réfugiés originaires des pays limitrophes. Il invite les jeunes de Fénelon à venir jouer dans son école !
En France, parents et enfants se mobilisent pour ce projet théâtral et solidaire un peu fou car il doit durer douze jours et comprend une démarche de service de la part des jeunes. Mais pourquoi partir si loin quand Vintimille – la frontière franco-italienne – est à une heure de route ? « C’est toute la communauté éducative qui est impliquée. Les parents d’élèves préparent des colis tous les vendredis pour les familles des enfants réfugiés. Pour nous, c’était un exemple qui justifie d’être allé si loin » argumente Maud.
Là-bas, Eve se souvient avoir écouté le témoignage de deux jeunes sans papiers de son âge, anciens bénéficiaires du programme : « Ils nous ont raconté leur histoire. Nous avons été bouleversés ». Les 24 participants se sont rendus compte que les petits dont ils s’occupaient tous les jours deviendraient un jour ces adolescents.
« La pièce jouée avant et celle jouée après ne sont plus du tout les mêmes, confirme Maud. Ils se sentent aujourd’hui la voix et le corps de ceux à qui on ne donne pas la parole. Le spectacle a pris une dimension humaine très forte ». Grâce à ces rencontres, quelque chose de l’ordre de l’Incarnation a eu lieu.
« Le passage qui me touche le plus dans la pièce est le personnage d’Alya, une femme réfugiée depuis plus de soixante-dix ans. J’ai des frissons à chaque fois que ce témoignage est joué. Je trouve l’histoire de cette femme terrible et je voudrais tellement qu’on puisse donner aux personnes comme elles un chez soi… » confie William.
« Le texte, qui existe en français et en anglais, a suscité un énorme travail de traduction, reconnaît Maud. Nous l’avons déposé pour qu’il ne soit pas réutilisé ».
L’éducation et l’art pour changer le monde
Désormais investis d’une « mission », les jeunes ont représenté douze fois « Home », en français ou en anglais, comme à Genève, devant 800 jeunes et représentants d’ONG ou encore à Cannes, à guichet fermé. Le public ne s’y trompe pas : « claque énorme », « spectacle qui renvoie à notre humanité ».
Le Père Carlos Caetano, cs, directeur du SNPMPI, a vu certains acteurs les larmes aux yeux : « Je pense que ces larmes n’étaient pas du « théâtre » mais témoignaient d’une compassion sincère devant la narration de la souffrance de l’exil ». D’ailleurs, lors de cette représentation, de nombreux migrants étaient dans l’assistance. « Certains avec des histoires similaires à celles racontées. Pour eux, ça n’a pas été un simple spectacle, mais presque une expérience cathartique » estime-t-il.
Pourquoi a-t-elle tant soutenu cette pièce ? « Etre en Section internationale, c’est s’ouvrir au monde. Pour moi, le parcours de formation passe par la prise de conscience qu’on est tous frères et sœurs en humanité ». Elle a ainsi organisé un parcours-découverte des lieux de culte à Lyon ou proposé une initiation à l’engagement solidaire, notamment la préparation de repas et la collecte de vêtements pour les migrants à Vintimille. Au-delà la formation académique, c’est le développement humain intégral qui est visé.
« Ces jeunes sont l’avenir. Quelle que soit leur religion ou leur non-religion, ils ont foi en l’humanité. J’ai fait beaucoup de choses avec mes élèves. Mais de cette ampleur et de cette profondeur ? Jamais ! Si on laisse aux jeunes un peu d’autonomie et l’occasion de s’exprimer, ils font des merveilles. Il faut juste leur faire confiance » conclut Maud, non sans fierté.
Claire Rocher (SNPMPI)