Sr Halligon : « Ne fermez pas les yeux sur la traite des êtres humains ! »
Sœur Marie Hélène Halligon est religieuse de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, une congrégation dont le charisme est l’accompagnement des personnes en très grande difficulté. La lutte contre la traite des êtres humains est la mission qui lui est confiée par sa Province. Elle fait partie des auteurs de « Exploitation et Traite des êtres humains. Comprendre pour agir » (Documents Episcopat N°7 – 2019).
Quel est le contexte de parution de ce numéro des Documents Episcopat ?
Le deuxième plan d’action national a été présenté par le Gouvernement le 18 octobre, pour la 13ème journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains. Nous avions déjà été très mobilisés pour le premier plan (2014-2016). Et après 2016, plus rien ! Pendant ces trois ans, nous avons donc travaillé pour qu’il sorte. Et il est mieux fait bien mais à notre avis, il manque encore des choses. Premièrement, il n’y a pas de moyens affectés aux préconisations. Deuxièmement, un aspect n’est pas abordé : celui de la demande. Car s’il n’y avait pas de clients, la traite n’existerait pas. Ces deux choses sont plus qu’importantes.
Quelles avancées constatez-vous ?
Ce qui a été fait, c’est la criminalisation des clients de la prostitution – et non plus des victimes. Mais la traite est un champ beaucoup plus large que la prostitution et couvre un spectre assez énorme, dans les relations entre les personnes. A la défense de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), Elisabeth Moiron-Braud, sa Secrétaire générale, a passé son temps entre les différents ministères qui se renvoient la balle… Sans les associations, je ne sais pas ce qui existerait en France ! Une autre chose a avancé : le recueil de données, à l’initiative des associations, à partir des chiffres qu’elles fournissent. Quand Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, a lancé le plan 2019-2021, la première partie portait sur les données recueillies.
A qui s’adresse cette publication ?
Son sous-titre est « Comprendre pour agir ». Nous avons essayé de définir ce qu’est la traite des êtres humains le mieux possible car ce phénomène est très complexe. Nous présentons ensuite les associations qui travaillent contre la traite pour les faire connaître et donner envie de les soutenir, de devenir acteur.
Comment les personnes migrantes sont-elles victimes de la traite aujourd’hui ?
On essaie de plus en plus de donner la parole aux victimes. Vous pourrez lire trois témoignages dans la brochure. C’est encore très difficile quand vous voyez la façon dont sont accueillis (ou pas) les migrants dans nos pays européens. Et très préoccupant. Nous organisons des sessions et des colloques pour sensibiliser et former sur le sujet. Si les pays offraient des voies d’accès légales aux personnes en situation de migration – comme les Droits de l’Homme le permettent – cela empêcherait le business des trafiquants qui profitent de milliers d’euros alors qu’un billet d’avion est cher… mais pas à ce point-là.
Comment l’Eglise s’investit-elle dans ce combat ?
Je suis très heureuse du soutien du pape François. Dès qu’il a été élu, en mars 2013, il a écrit un message – que j’ai vu de mes yeux – au responsable de l’Académie pontificale des Sciences sociales, lui demandant d’organiser quelque chose contre la traite. A la Toussaint 2013, nous étions en session au Vatican. Le document est émaillé de citations du Pape. Il faut absolument s’attaquer à ce phénomène.
Quel est votre appel aux communautés chrétiennes ?
Tout d’abord, ne fermez pas les yeux ! Ce qui me bouleverse en France, c’est l’indifférence. Même si beaucoup d’entre nous ont d’autres préoccupations – et je les comprends – quand on sait ce qu’est la traite et qu’on a écouté des victimes, vous ne voudriez ça ni pour votre sœur ni pour votre cousine, pour personne ! Permettre de « comprendre pour agir » est notre objectif. Nous souhaitons que ce document ne reste pas sur les étagères des évêques mais qu’il touche les paroisses, les mouvements et associations d’Eglise, jusqu’aux familles, pour que tous puissent s’interroger sur cette réalité. L’un ou l’autre reportage dans les médias a pu amorcer une prise de conscience. Mais là, on n’est pas dans la fiction !
Traite des êtres humains et droits de l’Homme
« Une vingtaine d’articles de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme sont bafoués par la traite des êtres humains, poursuit Sœur Marie Hélène Halligon. Quand un enfant est victime de traite, il n’est pas avec sa famille, ne va pas à l’école, n’a pas le droit de jouer et il subit de la violence… » Permanente du réseau RENATE (Religious in Europe Networking Against Trafficking and Exploitation) au Conseil de l’Europe, elle a pu écouter les témoignages des enfants de plusieurs pays. 2019 marque en effet le 30ème anniversaire de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), adoptée le 20 novembre 1989, et le 60ème anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Enfant, du 20 novembre 1959. D’ailleurs, souligne-t-elle, on ne dit plus « victime » mais « survivante », car ces personnes font preuve d’une résilience étonnante.