Travailleurs et esclaves dans le rural
« Les migrants, une espérance pour le rural ? » Nagham Hriech Wahabi, psychologue et directrice de l’Organisation internationale contre l’esclavage moderne (OICEM) souhaiterait que cela soit toujours vrai. Mais pour elle, la situation des étrangers employés temporairement sur des exploitations agricoles relève souvent… de l’exploitation justement.
Il faisait beau et chaud dans les champs de Maillane (13), ce 7 juillet 2011. « La chaleur était supérieure à 30°C une bonne partie de la journée »1. Vers 20h, un ouvrier agricole vide les seaux remplis des melons récoltés par les autres saisonniers dans une remorque. Soudain, le jeune homme perd connaissance. Averti par téléphone, le responsable de la société de travail temporaire qui l’emploie met « près d’une heure à arriver »2. Il transporte alors l’Equatorien aux Urgences. En bonne santé et sans antécédents médicaux, Elio décède « des suites d’une hyperthermie maligne »3. Il avait 32 ans.
Dans le cas présent, une société espagnole d’intérim a recruté des travailleurs en Equateur. Ceux-ci ont été « détachés » auprès d’un producteur français de légumes et de melons. Aucune consigne de sécurité traduite en espagnol, information partielle sur la conduite à tenir en cas d’accident, accès restreint à l’eau en plein été, non-respect des règles encadrant le travail temporaire… Cette histoire dramatique met en lumière les manquements graves dont peut être victime la main d’œuvre saisonnière dans le rural, de surcroît étrangère et ne parlant pas français.
Le syndicat général agro-alimentaire CFDT des Bouches-du-Rhône et la Fédération générale agro-alimentaire CFDT – qui défendent « l’intérêt collectif de la profession »4 – sont parties civiles dans cette affaire. Ils dénoncent « un contexte de violations toujours plus grand des droits des travailleurs détachés »5.
Des droits au rabais
« Tout le monde se connaît dans le rural. En cas de conflit avec l’employeur, il existe peu de ressources humaines. L’isolement et l’absence de transports ne facilitent rien. Tout est permis parce que c’est caché » regrette Nagham. Elle évoque, sans développer, les abus et les violences sexuelles dont sont victimes les femmes. A l’impunité des employeurs s’ajouterait « l’indifférence des locaux ».
« Le droit européen est complexe et flou », souligne la responsable de l’association basée à Marseille. Ces agences installées dans d’autres pays d’Europe envoient des saisonniers dans le sud de la France et en Italie. De véritables campagnes de recrutement sont organisées dans les villages du Maghreb, avec la promesse de « contrats OMI » (Office des migrations internationales). Les femmes seront employées de maison quand les hommes travailleront aux champs. Elle y décèle un « relent de colonialisme ».
Une fois en France, certains saisonniers reçoivent des fiches de paie mais ne sont pas déclarés. Il est arrivé qu’on leur confisque leur passeport, que des frais (logement, nourriture) soient défalqués de leur salaire ou que leurs conditions d’hébergement en France soient indignes. Nagham cite le cas de travailleurs maghrébins qui ont construit eux-mêmes leur toit. « Ils vivent dans la crainte d’être sanctionnés et de perdre leur emploi ».
Les missions de l’OICEM sont l’assistance juridique, le soutien psychologique et l’accompagnement socioéducatif « de toute personne identifiée comme victime ». Les définitions des différentes formes de traite des êtres humains – basées sur la loi française – font froid dans le dos.
Les liens avec l’Inspection du travail se sont intensifiés. Celle-ci exige que les informations de sécurité sur les produits et les outils utilisés soient traduites dans la langue des employés.
Un label pour la dignité
Et les consommateurs, alors ? Ils peuvent agir en soutenant des initiatives alternatives, comme celle de l’association « Diritti a Sud » qui promet « une tomate produite dans la dignité » et sans pesticides. « On veut montrer que c’est possible de produire de la sauce tomate en Italie en respectant les gens. Le problème vient pour moi de la grande distribution, qui veut vendre des pots de sauce à 60 centimes et impose donc des prix d’achat dérisoires, ce qui force les propriétaires terriens à verser des salaires indécemment bas aux ramasseurs » explique Bastien Fillon, impliqué dans le projet « SfruttaZero » (« Sans exploitation », en italien).
Dans le rural, où les conditions de vie et les difficultés financières des agriculteurs les poussent parfois au suicide6 et où la main d’œuvre est insuffisante, les travailleurs migrants sont une réelle chance quand respect de l’homme et de l’environnement vont de pair.
Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains »
L’OICEM fait partie des 28 associations françaises du collectif créé par le Secours Catholique – Caritas France, en 2007. Il regroupe des membres engagés de façon directe ou indirecte avec les victimes en France ou dans les pays de transit et d’origine de la traite.
Claire Rocher (SNPMPI)
1-5 : Conclusions de parties civiles. Audience du 26/11/2019 au Tribunal de Grande Instance de Tarascon.
6 : Suicide : les agriculteurs plus à risque