La mission aux frontières : Calais – Londres
A Calais, ville emblématique de la lutte contre des politiques migratoires injustes envers les personnes migrantes et dangereuses pour tous, répond l’Eglise qui est à Londres.
Diplômée de Sciences Po et de la Sorbonne, Juliette Delaplace, 29 ans, est chargée de mission auprès des personnes exilées sur le littoral Nord pour le Secours Catholique – Caritas France. Elle a choisi de s’installer à Calais, six ans après son stage de fin d’études. Jusqu’à peu chargée de plaidoyer sur les politiques migratoires européennes au siège du Secours Catholique à Paris, la jeune femme expérimente désormais un engagement quotidien aux côtés des exilés.
Expulsions répétées et traversées en augmentation
Malgré quelques avancées obtenues devant les tribunaux par les associations, telles que la mise en place de douches et l’accès à l’eau, la situation reste dramatique. Elle souligne que les campements font l’objet d’expulsions toutes les 48 heures, avec confiscation des affaires des absents, ou de grandes évacuations avec départ forcé en bus vers des lieux de « mise à l’abri », toutes les trois semaines environ. Des violences policières sont régulièrement dénoncées par les migrants. « Ces expulsions, qui font partie de la lutte contre les points de fixation menée par le gouvernement, participent à la dégradation des conditions de survie des personnes ». Alors que les camps, même s’ils n’étaient pas satisfaisants, permettaient au moins une certaine organisation de la solidarité, aujourd’hui la dispersion des exilés rend difficile l’accompagnement associatif.
Depuis qu’il n’est plus possible de demander l’asile à la sous-préfecture de Calais, que proposer aux exilés ? « Les personnes sont empêchées de rester, explique la chargée de mission, mais elles sont aussi empêchées de traverser ». Depuis le 1er janvier 2020, plus de 1.000 personnes ont été interceptées par les autorités françaises et 5. 600 personnes auraient franchi la Manche, selon le ministère britannique de l’Intérieur.
Une bonne météo et une circulation maritime ralentie, en raison de la pandémie de Covid-19, convainquent les candidats d’embarquer en zodiac pour l’Angleterre. « Même si la traversée est dangereuse, le quotidien insoutenable sur le littoral, la fermeture annoncée de la frontière britannique et l’arrivée de l’hiver créent une urgence à partir ».
Depuis 2015, le Secours catholique travaille avec des associations britanniques sur Calais comme Help Refugees, Refugee Women’s Centre ou encore Project Play. Malheureusement le travail de plaidoyer est freiné des deux côtés de la frontière. « Avec le Brexit, le Royaume-Uni va sortir du règlement Dublin et de conventions européennes très importantes, notamment pour les mineurs non accompagnés (MNA), qui ont droit à la réunification familiale. Par quoi tout cela sera-t-il remplacé ? » s’inquiète Juliette.
Le seul lieu de répit en pleine pandémie
Pendant le premier confinement, l’accueil de jour du Secours catholique était fermé. Pour permettre aux exilés de recharger leur téléphone et d’accéder à l’information, des maraudes avaient été organisées. Aujourd’hui, il fonctionne, dans le strict respect des consignes sanitaires. Juliette insiste : « C’est le seul accueil de jour ouvert à Calais ! En ce moment, on estime à 800 le nombre d’exilés. Or nous en avons accueillis jusqu’à 350 dans la cour. Cela dit le besoin de se retrouver et de se stabiliser, dans un contexte où les lieux de vie et distributions alimentaires changent sans cesse ». Pour plus de confidentialité, les femmes et les enfants ont des créneaux réservés.
Fruit du premier confinement, des bénévoles plus jeunes, tous Calaisiens, ont rejoint le Secours catholique. « Très ouverts, ils veulent que leur ville soit accueillante et solidaire. C’est une vraie source d’espérance pour nous ».
Coudre pour protéger les droits fondamentaux
Avec d’autres associations, le Secours catholique lance l’opération « Pochettes anti-expulsions », des pochettes de voyage pour ranger papiers et téléphones, très utiles lors des évacuations. « C’est important de voir que d’autres se mobilisent », se réjouit Juliette en ajoutant qu’une Youtubeuse devrait proposer un tuto spécial. Il y a peu, un restaurateur offrait un repas à l’équipe et des beignets pour les accueillis. « La solidarité existe partout, même à Calais, dans une ville qui est depuis plus de vingt ans en prise avec la complexité de l’accueil des personnes exilées ». La nomination d’un nouvel évêque dans le diocèse d’Arras, Mgr Olivier Leborgne, ravive l’espoir de relations apaisées entre les associations et les autorités locales, actuellement dans un rapport « stérile ».
Claire Rocher (SNMM)
Voir les mamans avec leurs enfants à l’accueil de jour m’inspire le sentiment d’une humanité partagée extrêmement forte, d’une grande vulnérabilité et à la fois, d’un immense courage, témoigne Juliette. C’est tout le paradoxe du travail auprès et avec les personnes exilées : à un moment de leur vie, elles traversent un grand moment de fragilité, peut-être de détresse, et en fait, elles ont des parcours, derrière elles et à venir, qui demandent et démontrent une force incroyable. J’ai parfois l’impression d’être face à des géantes.
Barbara Kentish est vice-présidente du Centre des Réfugiés de Notre-Dame (NDRC), ONG dépendant de Notre-Dame de France à Londres (Royaume-Uni). Elle est aussi membre du groupe Justice et Paix et de People not Walls.
Le témoignage de Juliette Delaplace, du Secours Catholique à Calais, est si fort que je veux juste reprendre ses mots. C’est la réponse des personnes de bonne volonté sur les côtes françaises qui nous donne de l’énergie de ce côté de la Manche pour affronter la question de notre frontière commune. Elle écrit :
Voir les mamans avec leurs enfants à l’accueil de jour m’inspire le sentiment d’une humanité partagée extrêmement forte, d’une grande vulnérabilité et à la fois, d’un immense courage. C’est tout le paradoxe du travail auprès et avec les personnes exilées : à un moment de leur vie, elles traversent un grand moment de fragilité, peut-être de détresse, et en fait, elles ont des parcours, derrière elles et à venir, qui demandent et démontrent une force incroyable. J’ai parfois l’impression d’être face à des géantes.
C’est cette compassion et l’admiration pour le courage des migrants qui inspirent aussi le travail du Centre des Réfugiés de Notre-Dame, à Londres. Il propose un soutien aux migrants dans une étape plus tardive de leur voyage. Tournons d’abord notre regard vers la Manche. Depuis les années 1990, de nombreux migrants sont arrivés sur la côte du Pas-de-Calais pour demander l’asile au Royaume-Uni. Celui-ci a été de moins en moins désireux d’accueillir des demandeurs d’asile et ne propose aucune possibilité de déposer une demande depuis la France. Les migrants désespérés ont d’abord cherché à rejoindre la Grande-Bretagne dans les camions et plus récemment dans des petites embarcations. Une fois au Royaume-Uni, ils peuvent déposer une demande d’asile.
Combattre l’ignorance
Malheureusement, les migrants sont mal accueillis. Ils se confrontent à la méconnaissance (volontaire) de leur situation ou à une hostilité assumée. Un petit groupe de personnes issues des réseaux Justice et Paix de l’Eglise catholique ou d’autres églises se sont associés en 2018 avec des associations françaises comme le Secours Catholique pour lancer People not Walls, avec comme mission de faire prendre conscience de la fermeture de la frontière et pour s’opposer aux violations des droits de l’Homme.
Le public britannique a pris conscience des souffrances des réfugiés quand « la Jungle », un camp informel qui a regroupé jusqu‘à 10 000 personnes en 2015, a commencé à grossir à Calais. Beaucoup d’ONG et de particuliers ont traversé la Manche pour apporter de l’aide : tentes, sacs de couchage, vêtements et nourriture. L’Eglise catholique, par divers canaux, a été très active dans ces efforts. Les évêques catholiques français et anglais avec les évêques anglicans, ont écrit une lettre commune pour soutenir les migrants. People not Walls a organisé plusieurs actions et manifestations en soutien aux ONG françaises engagées pour la défense des droits humains à Calais.
The Catholic Worker
Une organisation catholique anglaise, en coopération avec le Secours Catholique – Caritas France, a ouvert une maison d’accueil dans l’esprit du Catholic Worker, un mouvement fondé par Dorothy Day. Elle permet de loger quelques migrants à Calais. La maison Maria Skobtsova a été très vite remplie au-delà de sa capacité. Cette petite maison louée au Secours Catholique a hébergé jusqu’à 30 célibataires et 2 ou trois familles, selon les moments. Elle s’est financée par des appels à la générosité dans les églises britanniques ou françaises. Au-delà du service rendu à ses hôtes qui auraient été autrement sans abri, elle a permis de faire connaître le scandale de la frontière aux donateurs britanniques, un service très utile. Un autre aspect de la mission de le maison Maria Skobtsova est d’accompagner par la prière ceux qui entreprennent un voyage si difficile, sans en voir le bout.
Seeking Sanctuary, sur la côte sud de l’Angleterre
Voici leur projet : « Nous cherchons à éveiller les consciences sur la situation des personnes déplacées et d’apporter une aide humanitaire de base en provenance des communautés de croyants ou d’association humanitaires en partenariat avec des travailleurs sociaux expérimentés. Nous avons un intérêt particulier pour ceux qui arrivent sur côte nord de la France et qui espèrent être accueillis au Royaume-Uni. En plus de collecter des fonds et des biens matériels pour les migrants, nous fournissons de l’information régulièrement sur les injustices commises de chaque côté de la Manche. »
De plus, Seeking Sanctuary est particulièrement attentive à ceux qui sont morts tragiquement en cherchant à rejoindre la Grande-Bretagne. Elle a érigé deux plaques au bord de mer à Douvres, près du grand port des ferrys, pour faire mémoire des migrants chinois, morts gelés dans un container frigorifique, il y a 20 ans, et pour ceux disparus plus récemment pendant la traversée. Personne ne les pleure. Des fleurs ont été déposées pour les 39 Vietnamiens découverts sans vie dans un camion dans l’Essex, pour la famille récemment noyée et pour la petite fille qui a été tuée par la police, près de la côte française. L’évêque anglican a récemment visité le mémorial et prié pour les migrants décédés.
La réponse des évêques catholiques
Mgr Paul McAleenan, l’évêque anglais en charge des migrants et des réfugiés, et Mgr William Nolan, son confrère écossais, ont parlé à de nombreuses reprises de l’échec de nos gouvernements pour résoudre les difficultés à la frontière et ont aussi prié devant les plaques du front de mer à Douvres. Ils ont condamné fermement la nouvelle proposition de loi britannique sur l’immigration, qui ne permet pas le regroupement familial et ne prévoit rien pour les mineurs non accompagnés.
Que se passe-t-il pour les milliers de personnes qui arrivent sur le sol britannique et qui demandent l’asile ? Dispersés dans des auberges du Royaume-Uni ou des foyers, parfois dans des hôtels, ils cherchent à faire avancer leur demande d’asile. En ce moment, 400 réfugiés sont hébergés dans un camp militaire à Folkestone, sans soutien juridique. C’est là que les ONG existantes sont si importantes car elles offrent aux migrants leur expertise.
Le Centre des Réfugiés de Notre-Dame, accueilli et soutenu par l’Eglise francophone de Londres, propose un soutien juridique très large pour aider les migrants à obtenir un permis de séjour, temporaire ou permanent. Il offre aussi, hors des périodes de confinement, de la nourriture, des vêtements et le remboursement des frais de transport pour venir au centre d’accueil. Là sont proposées des activités dont des cours d’anglais. Le centre est reconnu pour l’expertise unique des conseillers sur l’obtention des titres de séjours pour les demandeurs d’asile. Il cherche à rénover ses locaux pour accueillir à nouveau les sans-papiers dans de bonnes conditions sanitaires. Le conseil par téléphone et les cours d’anglais en ligne continuent.
Le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) offre des conseils juridiques et l’hospitalité mais s’est spécialisé dans le soutien des personnes détenues dans les centres de rétention. Le Royaume-Uni est le seul Etat d’Europe à autoriser la détention des sans-papiers sans limite de temps. JRS suit particulièrement ces personnes très vulnérables.
Barbara Kentish, vice-présidente du Centre des Réfugiés de Notre-Dame
La famille de Bethléem ? Des réfugiés… conclut Barabara. Nous approchons des fêtes de Noël. Nous nous souvenons de la naissance d’un bébé dans une société marquée par la violence. Très vite, sa famille devra fuir et il deviendra un enfant réfugié. Aujourd’hui, quand nous voyons les familles tentant de survivre dans des tentes, dans des bateaux et des logements de fortune, nous pouvons faire mémoire de cet enfant réfugié en Egypte. Que ces personnes qui ont eu la force de franchir beaucoup de frontières trouvent refuge au Royaume-Uni en étant accueillies par des personnes de bonne volonté.