Traverser le désert
Sortir d’Egypte, c’est sortir d’un système – culturel, social, politique – de pouvoir absolu, celui du Pharaon. Il y faudra bien des « frappes », et de la violence, et la décision ferme du Seigneur, pour faire sortir un peuple d’un pays qui n’est qu’impasses, non-avenir, non-existence, non-droit. Mais, une fois la mer traversée à pied sec, c’est le désert qu’il faut affronter.
Le migrant sub-saharien d’aujourd’hui croyait avoir acquis une liberté. La traversée du désert est en fait une autre servitude, à la merci des passeurs intraitables et violents, et une série d’obstacles où la vie est à chaque instant un miracle si on réussit à la sauvegarder [1]. Et la traversée de la Méditerranée, si on réussit à sortir des camps de Libye, est une traversée non moins dangereuse et risquée.
Comment la tradition biblique parle-t-elle de la traversée du désert ? Certes, la sortie de la servitude en Egypte offre la liberté aux fils d’Israël. Mais une liberté nue, de ce fait incapable de s’exercer réellement.
La confiance à l’épreuve du désert
Les épreuves dans le désert pour Israël sont bien sûr les mêmes que pour les migrants d’aujourd’hui : la soif, la faim, l’immense lassitude à avancer, le désespoir qui fait regarder en arrière et douter de soi. Mais le récit biblique suggère aussi de porter attention aux incidents qui secouent les lieux d’étape, à Massa, à Meriba, à Qadesh. Là où l’on entend tout d’abord des murmures, des grommellements (à cause de la soif et de la faim), puis plus distinctement, peu à peu, des récriminations, des révoltes, des remises en cause. Comme, par exemple, après l’envoi de douze hommes pour un premier repérage du pays où le Seigneur conduit (Nb 13-14) : même si ce pays est riche, à voir les fruits qu’il produit, il est inhabitable à cause de la taille de ses habitants ! Traverser le désert, c’est ainsi l’épreuve de la confiance, de la ténacité à tenir dans le projet qui a mis en mouvement ; c’est, plus particulièrement, une épreuve pour la parole : apprendre à parler autrement que se plaindre ou se révolter, parler droitement de ce que l’on vit et ressent, apprendre à se parler mutuellement pour construire des liens de fraternité qui sont les vrais soutiens dans les épreuves, avoir le courage de parler avec respect et pour être respecté.
Les fils d’Israël se souviennent de la traversée du désert comme d’un temps où Dieu faisait leur éducation. « Tu te souviendras de toute la route que Dieu t’a fait parcourir (…) il t’éprouvait pour connaître ce qu’il y avait dans ton cœur, et savoir si tu allais, oui ou non, suivre ses voies (…) pour que tu reconnaisses que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais qu’il vit de tout ce qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,1-5).
Les migrants d’aujourd’hui sont presque tous confrontés à une traversée du désert : physique, certes, comme à travers le Sahara, l’Anatolie entre Iran et Turquie, ou entre le Mexique et les Etats-Unis. Mais la traversée du désert est aussi une épreuve d’humanité, tous le savent. Sachons écouter cette expérience, la recevoir comme un héritage précieux pour la vocation humaine et l’accomplissement de la promesse de Dieu.
Père Jean-Marie Carrière, SJ
[1] On lira avec intérêt Fabrizio Gatti, Bilal sur la route des clandestins (Liana Levi, Paris 2008).